Saturday, January 13, 2018

Frère Henri, « militant » dominicain


BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ - RELIGION

Dans le livre qu’il consacre aux ordres dominicains, jésuites et franciscains ("Au Nom de Dieu et des Hommes", Fayard), Jérôme Cordelier revient sur l’engagement social des frères Burin des Roziers et Raguénès. Deux figures qui ont marqué Besançon.

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LE 13/01/2018 À 05:02
MIS À JOUR À 08:50



Journaliste au Point et spécialiste du fait religieux, Jérôme Cordelier montre à quel point les figures magnétiques de François d’Assise, Dominique de Guzman et Ignace de Loyola, fondateurs d’institutions parmi les plus anciennes au monde, continuent à parler à nos contemporains. Photo Nice Matin


Dans un livre passionnant, Jérôme Cordelier raconte la grande « saga » des franciscains, des jésuites et des dominicains. Créés au Moyen Âge ou à la Renaissance, ces « rocs de la chrétienté » sont toujours debout et continuent à marquer notre époque, même si leurs rangs se sont dangereusement clairsemés. Trois ordres, huit siècles d’histoire incarnés par des figures incroyables – grands mystiques, bâtisseurs, hommes de bien, souvent tout cela à la fois… – dont l’auteur brosse autant de portraits saisissants.

Parmi les religieux dont vous relatez l’aventure – car c’est souvent de cela dont il s’agit –, on croise la route du frère dominicain Henri Burin des Roziers, une figure du combat des Lip. Qui était-il ?

« Issu de l’aristocratie française, d’une lignée de grands résistants – l’un de ses oncles deviendra le secrétaire général de l’Élysée, sous De Gaulle –, Henri Burin des Roziers a passé sa vie à pourfendre et combattre l’injustice. Au Brésil, où il vécut 33 ans aux côtés des « Sans Terre », il partagea le destin des péons, ces ouvriers agricoles exploités comme des esclaves par les grands propriétaires terriens d’Amazonie. Agrégé de droit et avocat de formation, ce frère dominicain a tout lâché, en mai 1968, pour se ranger définitivement aux côtés des exclus et des opprimés. De ces événements de mai, il dira qu’ils furent pour lui « un rêve beau, biblique et évangélique » ! Les travailleurs pauvres, les bavures policières, le tiers-monde… Le frère Henri fut de tous les combats et s’il en avait eu la capacité physique, on l’aurait vu aux côtés des migrants, dont il dénonça jusqu’à son dernier souffle – il est mort il y a quelques semaines à l’âge de 87 ans – le sort qui leur est fait. Ce religieux hors-norme, qui refusait qu’on le définisse comme “missionnaire”, se présentait comme un “militant”. “Je n’ai voulu qu’une chose : lutter contre les injustices”, m’avait-il confié peu avant sa mort. »

Cette lutte l’avait conduit à Besançon au début des années 70…





« Absolument. Il y fit la rencontre d’une autre figure dominicaine, Jean Raguénès (mort en 2013), éternel engagé, éternel insurgé, comme lui. Les deux hommes s’étaient fait embaucher comme ouvrier intérimaire, l’un à l’usine textile Rhodia-Ceta de Besançon, l’autre chez Peugeot, à Sochaux. Les deux furent licenciés pour avoir refusé de prendre la place des grévistes et leur fraternité s’est soudée à jamais dans le combat des Lip. Ils se retrouveront, quelques années plus tard, au Brésil. “Nous voulions vivre au milieu du peuple, sentir la vie des ouvriers”, m’a confié frère Henri. Un historien de votre région, Joseph Pinard, m’a écrit pour me dire à quel point lui et son frère Jean demeuraient, aujourd’hui encore, gravés dans la mémoire collective franc-comtoise. »

Autre figure marquante : Henri-Dominique Lacordaire qui, un siècle plus tôt en France, restaura l’ordre des frères dominicains…

« Laminé, l’ordre n’était plus que l’ombre de lui-même, en France et en Europe. Ce grand prédicateur – Tocqueville et Hugo se pressaient à ses conférences à Notre-Dame de Paris – consacra toute sa vie à en refonder la branche masculine. Il lui fallut, pour cela, affronter l’Histoire, et en exorciser le chapitre le plus sombre : l’Inquisition, dont les dominicains furent le bras armé. Lacordaire s’appuie sur sa popularité pour crever l’abcès et, d’une certaine façon, réhabiliter la figure de saint Dominique, dont il faut rappeler qu’il était mort, quand le pape Grégoire IX créa l’Inquisition pour combattre l’hérésie cathare, en 1233. Cinquante ans après la Révolution, Lacordaire considère que le monde est un grand malade et que la nation a un besoin impérieux de renouveau spirituel. En bon dominicain, cet avocat de formation croit au pouvoir de la parole. Malgré l’interdiction révolutionnaire toujours en vigueur, il sillonne le pays en robe de bure pour recruter de nouveaux candidats et annoncer la Bonne Nouvelle. Quatre couvents seront créés sous son impulsion, dont un à à Nancy, en 1843, et un autre à Flavigny, en Côte-d’Or, un an plus tard. »

Ce qui frappe dans votre récit, c’est la modernité de François d’Assise, de Dominique de Guzman et d’Ignace de Loyola, fondateurs des trois ordres dont vous relatez les aventures…

« C’est ce qui m’a poussé à faire ce livre. Il n’y a pas beaucoup d’institutions qui, tant de siècles après, continuent à marquer et influencer la société qui les entoure. François reste un personnage dominant, l’aura intellectuelle des dominicains ne se dément pas, notamment en Orient. Quant aux jésuites, s’ils ne sont plus les confesseurs des rois, ils restent les précepteurs de l’élite et l’éducation qu’ils proposent continue à influencer les grands de ce monde. »


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