Tuesday, April 28, 2020

Du sentier des Jésuites à la première voiture : Le défi de la liaison

Lac-St-Jean/Québec
Le 24 avril 2018 à 8 h 00 min

Temps de lecture : 11 min



Par Christian Tremblay


Suivant généralement les lignes électriques, on nommait ce chemin La route des poteaux. Source: Société d'histoire du Saguenay, P2-S7-P09784-1


Il est assez aisé, pour nous, de se rendre dans la région de Québec aujourd’hui. Selon l’endroit où l’on se trouve, plus ou moins trois heures suffisent amplement. Mais qu’en était-il, y a cent ans, à l’époque de la colonisation, ou même bien avant?
L’histoire de la communication entre notre région et le fleuve Saint-Laurent ne date pas d’hier.
En fait, si l’on voulait remonter au tout début, nous devrions reculer de plusieurs milliers d’années. Avant l’arrivée des premiers blancs, le Piékouagami servait déjà de point de relais, entre ce que nous appelons aujourd’hui la Baie d’Hudson et le fleuve Saint-Laurent.
Nous pourrions même dire que notre mer intérieure était un lieu phare pour les rencontres entre les différentes nations amérindiennes.
Le Jésuite Albanel, l’un des premiers blancs à avoir foulé le sol Jeannois, en septembre 1672, affirme y avoir rencontré plus de vingt-cinq nations en un même lieu, soit l’embouchure de la rivière Métabetchouane.
Pas surprenant donc, que Français et Anglais eurent choisi cet endroit pour le poste de traite, sous les Français et le poste du Roy, sous les Anglais.
Le sentier des Jésuites
Nommé ainsi à cause des missionnaires qui l’utilisaient, ce sentier n’a en fait de Jésuite que le nom.
Longtemps oublié et même devenu mythique, les divers travaux de recherches des dernières décennies ont permis de redécouvrir, et mieux comprendre les voix de communications utilisées avant la colonisation.
Lorsque nous imaginons les premiers colons faire un long voyage en forêt, nous avons tendance à les voir, hache à la main, se défricher un passage à travers une forêt dense. Il n’en était rien. Du moins pour les trajets reliant les principaux points.
Ce sentier des Jésuites était, en fait, un réseau de pistes sillonnant tout le sud de la région, jusqu’à Québec d’une part et Tadoussac d’autre part.
Nous pourrions facilement le comparer aux différents réseaux autoroutiers d’aujourd’hui, avec une piste principale, des pistes secondaires et plusieurs petits chemins.
Le sentier des Jésuites. Un réseau de pistes, utilisées pendant des milliers d’années, entre les différentes nations amérindiennes, puis les premiers explorateurs.
Source: Livre Le sentier des Jésuites, 2010. Courtoisie Louis Lefebvre, auteur du document.




Cette carte, élaborée par M. Louis Lefebvre, un passionné de la question, montre bien ce réseau de pistes utilisés par les amérindiens, puis les missionnaires, coureurs des bois, jusqu’aux premiers colons.
Lors d’une conversation téléphonique fascinante, que j’ai eue avec M. Lefebvre, il me mentionnait l’avoir parcourue à plusieurs reprises. Combien de temps pour faire le trajet Lac-St-Jean/Québec, en passant par le maître sentier? Plus de deux semaines, à un rythme de plus ou moins quinze kilomètres, par jour.
La fameuse question des vaches
Toujours lors de cette conversation, je n’ai pu m’empêcher d’aborder avec lui toute la question relative au transport des marchandises, par ce réseau de pistes.
En effet, dès les années 1700, on retrouve dans les descriptions des missionnaires jésuites et autres explorateurs, la présence de bestiaux dans notre région.
Comment des vaches, ou autres animaux de ferme, ont pu faire ce trajet à cette époque? Selon M. Lefebvre, sans être facile, ce n’était pas aussi difficile que nous pourrions l’imaginer.
Le maître sentier des Jésuites permettait un tel transport. C’est même grâce aux vaches qu’il a pu retrouver certains tronçons de ce sentier.
Devant un obstacle qu’une vache n’aurait de toute évidence pas pu traverser, il devait se poser la question, Ils l’ont fait passer où, cette vache?
En cherchant, il retrouvait invariablement un passage pour la vache et un bout de sentier.
La période précoloniale
La période précoloniale, du point de vue du transport, entre notre région le reste du territoire, profitait donc d’un réseau de petites routes bien balisées et facilement utilisables pour tous.
Abandonnés progressivement, avec l’arrivée de la modernité, il aura fallu redécouvrir ces sentiers, kilomètre par kilomètre, bien des décennies plus tard.
Le sentier des Jésuites servira d’ailleurs de base pour plusieurs tronçons de chemin de fer et de routes subséquentes.
La période des chevaux
La colonisation du milieu des années 1800, change évidemment tout. Passer quelques vaches, c’est une chose, mais faire traverser des milliers de personnes, avec biens et matériaux, autrement que par bateau, c’est autre chose!
Le premier chemin était parsemé de petites cabanes, où les gens pouvaient se reposer, ou dormir.
Source: Société d’histoire du Saguenay, P2-S7-P02151-01
Très vite, les premiers colons réclament un chemin entre la région et Québec. Le premier chemin de terre, reliant le Lac-St-Jean à la Vieille-Capitale, remonte à aussi loin que la fin des années 1870.
Là encore, tout débute à Métabetchouan. Long de 225 kilomètres, ce chemin est praticable seulement en hiver, à ses débuts.
Tout au long de ce chemin, des abris, à distance régulière, permettaient aux voyageurs de se reposer, ou de dormir.
Dangereux et peu carrossable, ce chemin sera l’unique voie de communication terrestre, entre la région et Québec, jusqu’à l’arrivée du train à la fin des années 1880.
Équipage Berlot enneigé dans la route des capes, en 1880. Monde Illustré no, du 16 juin 1894.
Source: Société d’histoire du Saguenay, P2-S7-P07010-3
Lentement mais surement, on améliore, petits bouts par petits bouts, ce chemin de terre.
L’arrivée, à la fin de la première décennie de 1900, des premières voitures au Lac-Saint-Jean, crée un nouveau besoin: une route carrossable pour cette nouvelle invention, qui gagne en popularité.
Vers la modernité
Ce n’est toutefois que bien des années plus tard qu’une première voiture pourra enfin faire le trajet.
En 1927, un événement fait grand bruit dans la région. Une expédition est organisée. Plus de trente hommes et sept automobiles y participent.
Expédition route St-Jérôme Québec, 19 juin 1928. Premier voyage automobile. De gauche à droite: J.H. Tremblay, Louis Tremblay, René Harvey, Antoine Gauthier, Joseph Dufour,hôtelier, Léon Laliberté.
Source: Société historique du Saguenay-FPH65,P01243-01
Le départ a lieu à Hébertville, le 5 septembre. La délégation arrive enfin à Québec, dans la nuit du lendemain. Une aventure de plus de vingt-cinq heures!
La Société d’histoire Domaine du Roy signalait, il y a quelques temps, la mention d’une autre expédition dans l’édition du journal Le Colon, du 17 septembre 1925. Celle-là de Métabetchouan à Québec.
On mentionne dans le texte du journal que le trajet se fit en quatre jours. Les quatre citoyens y prenant part avaient dû abandonner leur voiture et faire une partie à pieds.
Indication, qu’encore en 1925, le trajet était impossible à faire pour une voiture.
Le premier chemin carrossable, dans les années 1930.
Source: Société d’histoire du Lac-St-Jean
Chercher à savoir qui, le premier, a traversé le parc des Laurentides est un exercice périlleux. C’est beaucoup une question de point de vue…
Est-ce que ceux qui ont construits la route, ça compte? Est-ce à partir de la date officielle d’ouverture? Faut-il l’avoir fait seul ou en groupe?
Comme vous voyez, chacun peut avoir sa propre réponse qui ne sera pas totalement fausse, ni totalement vraie. Nous pouvons bien en débattre, ça restera toujours une vue de l’esprit.
Pour cette raison il est préférable d’identifier la période 1925-1930 comme étant l’époque de cette conquête du parc, par les automobiles, qui s’est faite graduellement, par petits bouts et tronçons.
Une vraie route
Les investissements sérieux, pour doter la région d’une vraie route facilement utilisable, débutent dans les années 1930. Là encore, tout ne se fait pas d’un seul coup.
Comme aujourd’hui, pour beaucoup de projets, la réalisation de cette route se compte en nombre de promesses électorales. Mais une élection à la fois et des milliers d’heures de travaux plus tard, on inaugure enfin le lien routier en 1951!
Suivant généralement les lignes électriques, on nommait ce chemin La route des poteaux.
Source: Société d’histoire du Saguenay, P2-S7-P09784-1
Les barrières mythiques
Les plus âgés se souviennent évidemment de ces fameuses barrières à Hébertville et Stoneham, où deux gardiens de la faune prenaient des renseignements sur nous, la voiture, l’heure de passage et le nombre de passagers.
Cette impression de devoir passer à une douane pour quitter notre propre région était désagréable, mais nécessaire.
Il faut savoir que cette région a été instituée en Parc national, aussi tôt qu’en 1895.
Déjà, à cette époque, la nécessité de préserver ce qui restait de la faune, à la suite de la surexploitation des deux siècles précédents, était criante. Nous roulions donc dans un territoire protégé très sévèrement.
Les barrières du parc. Des souvenirs pour plusieurs.
Source: Société d’histoire du Lac-St-Jean
L’objectif de ces barrières n’était pas tant d’espionner les gens, que de s’assurer qu’il y avait le même nombre de personnes dans l’automobile, entre les deux points de contrôles.
Ceci pour éviter de perdre des gens, dans le parc, qui auraient été pratiquer le braconnage.
Ces barrières seront demeurées en fonction jusqu’à la fin des années 1970.
Un bilan routier catastrophique
Impossible de ne pas en parler. Le lien Lac-St-Jean/Québec a été, jusqu’à tout récemment, l’une des routes les plus dangereuse du Québec, statistiques à l’appui.
Après plusieurs dizaines de décès, des centaines d’accidents et un autre parcours au fil des élections, nous pouvons affirmer, aujourd’hui, que l’autoroute actuelle est l’une des plus belles qui soit, tant par ses magnifiques paysages, que son confort de conduite.
Pour la première fois, depuis les vingt-cinq années précédentes, il n’y eu aucun décès mortel en 2014, alors que la moyenne était de huit, dans les années 1980.
L’un des nombreux travaux, au fil de l’histoire, de cette route.
Source: Société d’histoire du Saguenay, P2-S7-P09424-3
Du sentier des Jésuites à l’autoroute
Trois-cent ans séparent l’utilisation des sentiers amérindiens par les Jésuites et l’autoroute actuelle. L’histoire de la communication terrestre, entre notre région et le reste du monde, tire sa motivation profonde dans le désir de ne pas être isolé.
Il fallait souvent faire preuve de patience, lors des travaux, tempêtes et accidents.
Source: Société d’histoire du Saguenay, P2-S7-P01896-01
Maintenant que cette facilité de transport est acquise, ne reste qu’à trouver les solutions durables pour inverser le flux des camions de déménagements, qui utilisent, sans le savoir, le chemin inverse des Jésuites et des premiers colons qui eux, croyaient en ce coin de pays!
Christian Tremblay, chroniqueur historique et administrateur de la page Facebook Lac-St-Jean histoire et découvertes historiques
https://www.facebook.com/histoirelacstjean




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