Thursday, December 13, 2012

Nouveau directeur du Service jésuite pour les réfugiés et migrants



Le père Peter Balleis, S.J.,
nouveau directeur du Service jésuite pour les réfugiés et migrants

L'une des présences les plus remarquées de la Compagnie de Jésus, au niveau international depuis trois décennies maintenant, c'est le Service jésuite pour les réfugiés et migrants .

Fin 2008, le nouveau directeur de ce service, dont le bureau est à Rome, est brièvement passé par Montréal. LE BRIGAND l'a rencontré et lui a demandé de se présenter et de présenter l'ouvre qu'il anime. L'article qui suit cette entrevue donne un exemple de contexte d'intervention du Service jésuite ,communément connu par son acronyme anglais, le JRS.




LE P. PETER BALLEIS, S.J., DIRECTEUR DU SRJ


Le BRIGAND : Père Balleis, dites-nous quelques mots sur vous-même et sur ce qui vous a mené à la direction du Service jésuite pour les réfugiés et migrants ?

Peter Balleis : Je viens d'Allemagne, en Bavière, et je suis entré dans la Compagnie de Jésus en 1981, avec l'espoir de travailler pour les missions. C'est en 1984 que je suis arrivé au Zimbabwe comme scolastique. Comme j'avais déjà fait ma philosophie avant d'entrer dans la Compagnie, on m'a rapidement envoyé faire cette expérience apostolique en Afrique, suivie de mes études de théologie au scolasticat de Nairobi, avec mes confrères jésuites africains. Notons que mes intérêts au cours de ma théologie ont été la doctrine sociale de l'Église et la théologie de la libération. Après mon ordination en 1988, j'ai complété mes études de théologie au Brésil : c'est là un résumé de ma formation.

Je faisais la critique des programmes d'ajustements économiques qu'on tentait de faire adopter par tous les pays d'Afrique, des idées qui allaient dans le sens du néo-libéralisme. Aujourd'hui, on se rend compte que ces programmes ont été une erreur, alors que nous, nous l'avions clairement dit dès le début des années 90. Malheureusement, les experts n'ont pas écouté la voix des gens qui travaillaient avec les populations locales en Afrique!

En 1994, il y a eu une pause puisque j'ai fait l'année de spiritualité que tout jésuite fait quelques temps après son ordination et qu'on appelle « le Troisième An ». À partir de la fin de 1994, on m'a destiné à travailler pour le SJR (Service jésuite pour les réfugiés). Ce grand projet avait commencé en Asie à la fin des années 70 et au début des années 80. Dans les années 90, le projet s'est orienté prioritairement vers l'Afrique. D'ailleurs, tout de suite après ma nomination, il y a eu le génocide au Rwanda qui a créé un grand nombre de réfugiés. J'ai donc commencé à travailler comme directeur régional du SJR au Zimbabwe, et ma formation a été très concrète puisque je me suis retrouvé à lancer une équipe de travail en Tanzanie, à la frontière avec le Rwanda, dans un camp de 120 000 réfugiés. Ça a été une formation « de terrain » et très pratique!

Plus tard, comme directeur régional de l'Afrique australe, j'ai eu la joie de terminer des projets en accompagnant le retour de réfugiés vers leur pays au Mozambique et en Angola. Nous avons toujours cherché à servir tout spécialement dans les provinces où il n'y avait pas eu beaucoup d'autres organisations qui s'étaient impliquées. Tout ça a donc été mon travail de 1994 à 2007, comme directeur régional, tout particulièrement donc dans des projets liés à ces pays, le Mozambique et l'Angola - le portugais que j'avais appris au Brésil m'a été utile dans ces deux pays.

J'ai dû me retirer de ce travail parce que ma Province d'origine, l'Allemagne, m'a demandé d'être le directeur de la Procure des missions d'Allemagne, une procure importante qui a des liens avec de nombreuses Provinces dans le monde.

Le BRIGAND : En 2007, on vous a donc ramené en Allemagne, mais pas pour longtemps!

PB : En effet, le bureau central du Service jésuite pour les réfugiés , à Rome, a manifesté son intérêt pour que je remplace le P. Mark Raper, un Australien, qui avait dirigé le SJR pendant 10 ans.

Le BRIGAND : Et qu'est-ce qui vous amène à Montréal?

PB : J'avais une rencontre à Washington avec les organisations jésuites qui travaillent sur les questions sociales et internationales; nous voulions surtout élaborer des méthodes de plaidoyer - en anglais on parle d' advocacy - pour les réfugiés. Dans l'ensemble du travail du SJR, nous avons défini quatre champs centraux sur lesquels nous voulons concentrer nos actions de plaidoyer.

• D'abord le plaidoyer pour la paix et la réconciliation ; c'est nouveau, c'est dans la ligne des options prises par la Congrégation générale des jésuites au début de 2008 et nous croyons que le SJR peut faire plus dans ce sens.

• Ensuite, nous avons choisi le plaidoyer pour l'éducation et la protection de l'enfant , en particulier l'éducation secondaire, un domaine dans lequel les jésuites et le Service pour les réfugiés ont une expertise reconnue. C'est clairement dans la ligne de la tradition de la Compagnie de Jésus.

• Le troisième thème, c'est de faire du plaidoyer non pas tant contre la xénophobie, mais d'une manière plus positive, en faveur d'une société plus intégrée . Nous promouvons des attitudes d'ouverture envers les immigrants, les étrangers, les migrants. C'est un thème plus important au Nord, en Europe, aux États-Unis, au Canada, mais aussi en Afrique du Sud, dans les parties du monde qui vont mieux politiquement et économiquement parlant, et qui doivent s'ouvrir aux réfugiés et migrants qui cherchent une terre où ils pourront vivre en paix.

• Le quatrième thème, c'est le plaidoyer pour la sécurité alimentaire . Nous ne sommes pas une agence d'aide humanitaire mais on s'aperçoit que dans les pays, quand on coupe les budgets, on coupe souvent ceux de l'aide aux réfugiés.


LE P. BALLEIS VISITE UN CENTRE POUR LES ENFANTS DE LA GUERRE AU CONGO (PHOTO DON DOLL, SJ / JRS)


Ce sont donc les quatre champs de plaidoyer dans lesquels le SJR veut s'engager, aussi bien au Sri Lanka et au Népal par exemple, qu'au Canada et aux États-Unis. On peut promouvoir ces thèmes au Congo, dans la région des Grands lacs en Afrique, en Colombie, en Thaïlande aussi. Notre engagement dans ces lignes est déjà reconnu depuis un bon moment et je crois que nous avons la capacité, les moyens et l'obligation même de faire ce plaidoyer pour la recherche de solutions à long terme au problème des réfugiés.

De plus, dans nos rencontres à Washington, nous avons participé à une conférence sur les causes des migrations des réfugiés, une rencontre organisée en lien avec Boston College, une université jésuite reconnue. C'est que nous cherchons la contribution du monde académique de la Compagnie de Jésus au travail du SJR, comme le père Arrupe, le fondateur du Service jésuite pour les réfugiés, le voulait. La Compagnie de Jésus devait s'impliquer du point de vue humanitaire, du point de vue pastoral, mais, selon lui, elle avait aussi le rôle d'analyser les causes de ces déplacements de personnes. Ce n'est pas très facile d'avancer sur ce terrain parce que les universitaires sont souvent très loin de la réalité vécue par les réfugiés, mais ils ont besoin de ce dialogue avec le terrain. Je crois que sur le thème de la promotion de la paix et de la réconciliation, il y a place pour beaucoup de collaboration.

Bon. Comme j'étais en Amérique du Nord, j'en ai profité pour venir au Canada, à Toronto et à Montréal, car je savais que la culture et les manières de voir au Canada sont différentes de ce qu'on constate aux États-Unis. J'ai voulu venir ici en particulier pour connaître le travail de la Compagnie de Jésus au Canada avec les migrants parce que le Canada est un pays qui accepte beaucoup de migrants et de réfugiés. C'est important d'avoir un contact, de connaître le travail qui s'est fait et se fait ici, des possibilités de collaboration. Il est bon pour moi de connaître ce que fait le Centre justice et foi et de proposer des liens avec la structure internationale du SJR. Cela peut aider au travail de plaidoyer qui se fera ici, en particulier grâce aux contacts avec d'autres personnes impliquées avec le SJR partout dans le monde.

RENCONTRE AVEC LE P. LOUIS-JOSEPH GOULET, RESPONSABLE DES PARRAINAGES AU BUREAU DES MISSIONS JÉSUITES


Le BRIGAND : De fait, la Province jésuite du Canada français a parrainé, au cours des ans, plus de 1500 réfugiés accueillis par le Bureau des missions. Comment vous voyez ce rôle-là dans l'ensemble des engagements du Service jésuite pour les réfugiés et migrants ?

PB : Ce travail se fait non pas dans le cadre d'une action du SJR puisque le SJR n'a pas ici d'existence légale spécifique. Mais cette question de structure n'est pas si importante. Ce qui est important, c'est justement que la Compagnie de Jésus, avec ses moyens, accompagne les réfugiés, les migrants, ceux qui sont les plus vulnérables. Je parle de réfugiés parce que beaucoup de gens qui sont des migrants viennent de pays en guerre, en conflit, où il y a des tensions politiques et ils sont de facto des réfugiés selon la définition que l'Église catholique en a donnée en 1992. Ce qui est donc très important pour la Compagnie de Jésus, c'est qu'elle accompagne concrètement des gens : c'est la base du travail. Je me suis informé du travail dans la Province : avec le Bureau des missions, on a fait des parrainages concrets, des actions d'intégration des nouveaux arrivants : c'est essentiel car, sans ça, on n'a pas la même crédibilité pour faire du plaidoyer - ce qui est plutôt le rôle du Centre justice et foi. C'est également vrai pour nous au niveau international : nous pouvons faire avancer les choses seulement si nous pouvons démontrer que nous travaillons sur le terrain avec les personnes déplacées. On ne peut faire notre travail de promotion d'une cause seulement par du travail de bureau!

Le BRIGAND : Les deux vont ensemble. Concrètement dans notre Province, mais dans son deuxième territoire, il y a une autre forme de travail spécifique que nous faisons, c'est en Haïti, à la frontière avec la République dominicaine. Que pensez-vous de ce travail?

PB : En Amérique Latine, il y a deux structures d'organisations, le SJR et le Réseau des services jésuites pour les migrants. On fait une différence parce que le SJR est considéré plutôt comme un service opérationnel quand il y a des crises, dans des régions précises où l'on identifie clairement des groupes de réfugiés vulnérables : c'est là le mandat premier et spécifique du SJR. Quand la Compagnie locale ne peut pas répondre à un besoin très grand et urgent, le père Arrupe a demandé à la Compagnie internationale d'intervenir pour chercher des ressources.

En Amérique latine, il y a beaucoup de migrants qui ne sont pas nécessairement des réfugiés au sens traditionnel du mot. Il y a en particulier deux pays qui méritent une attention particulière. D'abord un pays où sévit un conflit, la Colombie, avec au moins trois millions de déplacés, ou de « réfugiés » dans les pays voisins que sont le Venezuela, l'Équateur et le Brésil. Le SJR doit être présent dans cette situation. Haïti, selon moi, est le deuxième pays important pour nous; la situation y est comparable à celle de certains pays d'Afrique. Il y a là 8000 soldats de l'ONU, il n'y a pas de gouvernement stable : c'est pour moi une situation de précarité. C'est là le deuxième critère pour notre intervention. J'y suis allé en 2004; j'ai vu que la Compagnie n'a pas encore une présence très forte. Les jésuites d'Allemagne avaient alors aidé à l'occasion de l'ouragan Jeanne. Je suis aussi allé à Dajabón, en République dominicaine, et j'ai constaté que dans ce pays, voisin d'Haïti, le Service jésuite pour les réfugiés et migrants avait une certaine base. C'est bien, mais je pense qu'il convient qu'on fasse quelque chose à partir d'Haïti même.

DURANT LA RENCONTRE ORGANISÉE PAR LE CENTRE JUSTICE ET FOI


La Compagnie de Jésus là-bas, avec des partenaires - et le SJR international peut aider - doit établir des structures de travail à long terme pour traiter de la question des migrations en particulier entre les deux pays voisins. Il s'agit de promouvoir aussi la capacité des jésuites et de collaborateurs laïques pour mieux faire face à cette situation. Je crois que c'est important non pas seulement de faire de l'analyse académique sur la situation haïtienne, mais de travailler sur le terrain, de s'occuper de ces migrants qui sont poussés à se déplacer par les circonstances extrêmement difficiles de leur pays. C'est ce qui est commencé à Ouanaminthe, par l'engagement de la Province jésuite du Canada français; j'en suis très heureux et ça va tout à fait dans la ligne de nos objectifs.


PETER BALLEIS AVEC DES TRAVAILLEURS DU SRJ AU SRI LANKA


Le BRIGAND : Est-ce que c'est facile de garder un regard d'espérance devant la situation des réfugiés et migrants? Où trouvez-vous votre espérance?

PB : L'espérance vient de différentes sources. Au SJR, nous avons l'expérience que, de fait, certains conflits ont une fin. Ainsi, nous avons accompagné des réfugiés quand ils sont retournés chez eux, des Vietnamiens et des Cambodgiens il y a longtemps, ensuite des Mozambicains qui sont sortis d'exil au Malawi pour retourner chez eux, des Angolais qui étaient réfugiés en Zambie, des gens qui avaient vécu dans des camps durant une quinzaine d'années parfois. L'année dernière, nous avons achevé le travail du SJR au Libéria, puisque le pays a trouvé la paix et une certaine stabilité. On voit donc qu'on peut avoir l'espérance que les choses s'arrangent.

D'un autre côté, il y a de nouveaux conflits et c'est pourquoi nous sommes maintenant présents en République centrafricaine. Nous allons renforcer le travail au Tchad, au Soudan, en Éthiopie. Tout récemment, avec la bénédiction de notre nouveau Père Général, Adolfo Nicolás, nous avons commencé un travail au Proche-Orient, en Jordanie, avec des réfugiés irakiens. Une situation bien nouvelle, celle de réfugiés urbains où beaucoup de personnes déplacées vivent dans les villes et non plus dans des camps.

D'où provient donc notre espérance? Parfois aussi du témoignage de ces réfugiés qui, en un sens aux yeux du monde, sont des « perdants », des pauvres à divers points de vue. Mais comme le Père Général l'a dit, l'unique sécurité pour le pauvre et le réfugié, c'est justement l'espérance, c'est d'avoir confiance en Dieu. C'est la seule chose qu'il a! La situation des réfugiés est très difficile, ils ont besoin de survivre et, en ce sens, ils nous donnent des leçons d'espérance car Dieu est leur seule espérance.


VISITE D'UN PROJET DU SJR PRÈS DE BUJUMBURA, AU BURUNDI, POUR LES PERSONNES DÉPLACÉES QUI VIVENT EN MILIEU URBAIN (PHOTO DON DOLL, SJ / JRS)


Le P. Kolvenbach, notre ancien Général, avait dit qu'à bien des moments le SJR avait été source de consolation pour lui. Après qu'il eut terminé son généralat, nous lui avons demandé d'expliciter sa pensée là-dessus. Il a écrit que le SJR était signe d'espérance, par exemple en assurant l'éducation d'un jeune réfugié, qui gardait ainsi son avenir ouvert. D'une part donc, le Service a pu être source de consolation pour beaucoup de réfugiés, mais d'autre part, il a été source de consolation pour la Compagnie de Jésus car on peut y voir le « service d'espérance » que nous offrons pour les oubliés du monde. Le pape lui-même, quand il a rencontré les jésuites lors de la dernière Congrégation générale, a dit que, par le SJR, la Compagnie répond aux besoins psycho-sociaux et matériels des réfugiés, mais aussi à leurs besoins spirituels, ce qui est le service le plus spécifique qu'elle puisse rendre. Cela nous ramène au service de la paix et de la réconciliation : c'est un service qui rejoint notre engagement fondamental, qui touche le cour des gens. Il s'agit de discerner comment aider les gens à trouver la paix, à trouver des chemins de réconciliation.

Le BRIGAND : Merci beaucoup de votre témoignage, père Balleis. Nous souhaitons avec vous que leService jésuite pour les réfugiés et migrants continue sur la voie de cet engagement fondamental.


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