Sunday, October 9, 2011

L’automne américain


Chronique de Jacques Lanctôt

Canoe.ca
07/10/2011 11h12 - Mise à jour 07/10/2011 11h49


On dirait un carnaval. Des centaines de personnes, puis des milliers, jeunes et moins jeunes, des Blancs, des Afro-Américains, des immigrants, des touristes, des étudiants, des travailleurs, syndiqués ou pas, des professionnels, des chômeurs et des laissés-pour-compte, des pacifistes opposés aux guerres impériales, des membres de communautés religieuses, des « agitateurs culturels » reliés au site Internet http://www.adbusters.org/campaigns, etc., occupent la petite place de la Liberté à Manatthan.

On chante, on discute, on débat, on scande des slogans, on brandit des pancartes faites à la main, chacun y allant de son imagination. On a même vu quelques jeunes femmes dansant les seins nus, le corps recouvert de peinture, comme le faisaient sans doute leurs parents à l’époque des manifestations contre la guerre du Vietnam.

On les appelle « les indignés » ou « les protestataires de Wall Street ». Le mouvement « Occupons Wall Street », qui dure depuis trois semaines maintenant, gagne en ampleur et s’étend à d’autres villes des États-Unis d’Amérique et même à l’extérieur, comme une traînée de poudre dans un pays qui compte 14 millions de sans-emploi (80% d’entre eux étant des jeunes entre 18 et 21 ans), 40 millions de pauvres et, dans la seule ville de New York, 40 000 sans-abri.

Si au cours des derniers mois, les mouvements de protestation dans le monde arabe ont bien souvent été initiés par les services secrets américains dans le but évident de renverser des gouvernements qui ne répondaient plus à leurs attentes, cette fois-ci, le mouvement de protestation est né au cœur de l’empire et n’a pas été planifié dans une ambassade américaine. D’ailleurs quelqu’un a déjà dit que les États-Unis sont bien le seul pays au monde où il ne risque pas d’y avoir de putsch car il n’y a pas d’ambassade américaine.

Cette agitation n’a pas trouvé jusqu’à maintenant d’écho dans les médias traditionnels qui, au contraire, se montrent condescendants et boudent ce qui se passe sous leur nez, alors qu’ils étaient omniprésents dans des pays comme la Tunisie, l’Égypte, la Syrie et la Libye où la main américaine commanditait les soulèvements.

Alors, pour briser ce silence, les protestataires se sont donné des moyens modernes, avec leurs téléphones cellulaires capables de prendre des photos et des vidéos en direct, un site Internet alimenté 24 heures par jour, des entrevues live, publiées sur facebook et Twitter, et on a même lancé un journal, avec l’aide de deux journalistes indépendants, appelé The occupied Wall Street Journal.

C’est grâce à ce système de communication improvisé qu’on a pu voir des policiers brutaliser plusieurs centaines de manifestants qui bloquaient le pont de Brooklyn, les traîner par terre, arroser copieusement au poivre de cayenne des femmes sans défense, en visant particulièrement les yeux, avant de les arrêter.

Ces manifestants, qui réclament plus de démocratie pour discuter pacifiquement et qui dénoncent les inégalités économiques symbolisées par Wall Street, la bourse et les banques, ne semblent pas prêts à abandonner leur sit-in. Ils campent littéralement sur ce centre financier hautement symbolique du capitalisme, jour et nuit, dans une ambiance festive où la musique joue un grand rôle. Des artistes sont venus les appuyer. Des commerçants, non sans risque, leur offrent des sacs de couchage, des couvertures, de la nourriture, des téléphones cellulaires, des livres, ils impriment leurs tracts et leurs auto-collants gratuitement et on a même installé sur place un service de buanderie et des services médicaux. C’est que ces petits commerçants subissent, eux aussi, les contre-coups de la crise bancaire. La police a interdit l’usage de mégaphone mais qu’à cela ne tienne, les protestataires font la vague et se répètent de l’un à l’autre les paroles des orateurs du moment.

Si jusqu’à maintenant les États-Unis d’Amérique avaient montré la face odieuse de sa personnalité, avec les tenants du Tea Party et leurs idées ultra-conservatrices, c’est maintenant au tour des forces progressistes, des jeunes, des magannés, des indignés de se manifester et d’occuper le haut du pavé.

Y’a de l’espoir.

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