Le 05 février 2009 - (E.S.M.) - Porté à la papauté par une large proportion de cardinaux hostiles à ses idées rénovatrices, Benoît XVI, à l’amitié loyale, a dû conserver à des hauts postes des cardinaux plus « libéraux ».
Benoît XVI nomme ceux qu’il estime pouvoir devenir de bons serviteurs de l’Église
À la tête des Congrégations romaines, Petit tour d’horizon
Le 05 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Porté à la papauté par une large proportion de cardinaux hostiles à ses idées rénovatrices, Benoît XVI, à l’amitié loyale, a dû conserver à des hauts postes des cardinaux plus « libéraux ». Des nominations reposant sur la sympathie ou de bonnes impressions ont ainsi pu étonner.
C’est une donnée d’expérience : quand un gouvernement de gauche prend le pouvoir dans un pays, il limoge sur le champ préfets et hauts fonctionnaires qui ne sont pas de sa couleur. Au contraire, un gouvernement de droite se montre clément et généreux, se gardant bien de mettre en œuvre tout ce qui ressemblerait à une « chasse aux sorcières ». A fortiori, la générosité des hommes qui veulent le bien de l’Église est-elle grande. Dans le cas de Benoît XVI (qui d’autre part n’a pas succédé à un pape « de gauche »), s’ajoute le fait qu’une large fraction de ceux qui l’ont porté à la papauté ne partage pas certaines des options qui lui tiennent le plus à cœur. Dès lors, gouverner sans eux eût été sans doute plus contraire à la prudence que de gouverner aussi avec eux. D’autant que, homme qui cultive l’amitié loyale, ce pontife peut passer magnanimement sur les inconvénients « idéologiques » des personnes avec lesquelles il a, au long de sa vie, tissé des liens de sympathie, dès l’instant qu’il estime que ce seront de bons serviteurs de l’Église.
Le cardinal Hummes, à la Congrégation pour le Clergé
Ainsi, pour remplacer le cardinal Cas-trillón à la tête de la Congrégation pour le Clergé, Benoît XVI a choisi un prélat qu’il aimait bien, le cardinal Hummes, archevêque de São Paulo, membre depuis 2001 de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (1). Religieux franciscain, d’origine allemande, Claudio Hummes est un intellectuel (il a fait une thèse sur Maurice Blondel). Il s’était jadis spécialisé dans l’œcuménisme et avait donné toutes les apparences de frayer avec une théologie de la libération fort épicée. Il s’était ensuite recentré, en tout cas relativement, et pas en tous les domaines. Au Brésil, où comme dans toute l’Amérique latine la carence de prêtres est énorme, il avait favorisé la multiplication d’ordinations de diacres mariés, corps « intermédiaire », que les libéraux considèrent comme un vivier de futurs prêtres mariés. Quelle donc ne fut pas la surprise du Pape et du cardinal Bertone de lire l’entretien que le cardinal Hummes avait accordé, avant de prendre l’avion pour Rome, au journal brésilien Estado de São Paulo, dans lequel le nouveau Préfet de la Congrégation pour le Clergé (le Clergé !) envisageait la possibilité d’ordination de prêtres mariés ! (2) Le coup porté était si inattendu – à Rome, pas au Brésil – que certains allèrent jusqu’à lui prêter les calculs les plus machiavéliques : compte tenu de l’âge du Pape, ne prenait-il pas déjà ses marques pour un futur conclave ? Démentis, explications, précisions, n’empêchèrent pas de penser que l’on s’était tout de même trompé sur le profil du personnage ainsi promu à ce poste-clé pour l’avenir du sacerdoce latin. D’autant qu’une lettre expédiée par des prêtres brésiliens arrivée ensuite sur le bureau du cardinal Hummes, et qui demandait que soit revue la discipline du célibat ecclésiastique pour le clergé séculier, avait été concoctée par un groupe de travail réuni dans le diocèse de São Paulo, au sein duquel se trouvaient Mgr Esmeraldo Barre -to de Farias, évêque de Santarém, Mgr Dimas Lara Barbosa, évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, Secrétaire de la Conférence épiscopale, et… le cardinal Hummes lui-même, destinataire de la lettre. Qui plus est, membre de la Congrégation pour les Évêques, le cardinal Hummes dispose en outre de grands pouvoirs pour faire nommer au Brésil des évêques qui ne sont pas, on s’en doute, des restaurationnistes. On comprend qu’il ait été bientôt flanqué d’un Secrétaire de Congrégation donnant toutes assurances de droite pensée en matière de discipline sacerdotale latine.
Le cas de William Levada n’est pas sans quelque analogie. Cardinal depuis 2006, il avait été appelé dès le mois de mai 2005 à remplacer le nouveau Pape à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Archevêque de Portland en 1986, de San Francisco en 1995, il avait été associé à l’élaboration de plusieurs textes de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, dont il est devenu membre en 2000. Il était pour Joseph Ratzinger le principal soutien épiscopal aux États-Unis contre les théologiens du « dissentiment » moral (les théologiens s’opposant à Humanae Vitae et à tous les documents subséquents). Mais, de caractère prudent et mesuré, William Levada a toujours été un homme de compromis. On lui reprochait quelques faiblesses impensables chez ses confrères de stricte orthodoxie, comme son étonnante tolérance de la paroisse du Most Holy Redeemer Church, à San Francisco, composée essentiellement de fidèles gays et lesbiennes. À la vérité, la déception la plus importante est venue du fait que la gestion de la Congrégation pour la Doctrine de la foi par son nouveau Préfet s’est avérée plutôt grise. Dans les nominations américaines, il a également exercé son influence en privilégiant la désignation de prélats très modérés sinon « ouverts ». Ainsi a-t-il appuyé la nomination de Mgr Niederauer, qui n’est pas précisément un conservateur, pour être son successeur à San Francisco, et celle de Mgr Collins à l’archevêché de Toronto. Il est vrai que la vraie cheville ouvrière de la Congrégation pour la Doctrine de la foi restait son Secrétaire, Angelo Amato, très proche de Joseph Ratzinger et de Tarcisio Bertone, fils de Don Bosco comme ce dernier, qui vient d’être remplacé par le jésuite Luis Ladaria Ferrer, secrétaire de la Commission théologique internationale.
Des opinions divergentes sur la Fraternité Saint-Pie X
Il faut ajouter que le cardinal Levada n’a pas caché sa perplexité lors des réunions cardinalices où ont été évoquées la libéralisation de la messe tridentine et la réintégration de la Fraternité Saint-Pie X. Il aurait même marqué son opposition à une éventuellement réintégration des évêques de cette Fraternité, en suggérant, contre le précédent de la solution trouvée pour l’évêque traditionaliste de Campos (lequel a été « officialisé », malgré le fait qu’il était un « Lefebvre de deuxième génération » consacré par les évêques de la communauté de Mgr Lefebvre), et surtout contre tout bon sens, de réintégrer ces évêques dans l’état où ils se trouvaient au moment de leur « sortie d’Église » – en l’espèce en l’état de prêtres –, comme s’il s’agissait de prêtres catholiques consacrés évêques dans des sectes. On a longtemps pensé que le cardinal Levada serait éloigné de Rome et promu au siège de New York. Mais son état de santé se détériore de jour en jour et c’est plutôt de démission pure et simple qu’il serait question.
Quant au cardinal Ivan Dias, aujourd’hui malade et dans un état de très grande fatigue, il a été nommé à la tête de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, en remplacement du cardinal Crescenzio Sepe, en 2006. Il appartenait lui aussi à la Congrégation pour la Doctrine de la foi quand il était archevêque de Bombay. Jadis proche du cardinal Silvestrini, on a pu noter que son attitude vis-à-vis des manifestations les plus singulières du dialogue interreligieux était d’une grande tolérance. En outre, comme le cardinal Levada, il est loin d’être sur la même longueur d’onde que Benoît XVI pour les questions liturgiques et s’était même illustré à Bombay par une hostilité contre tous les traditionalismes, officiels ou non.
Mais la nomination qui a le plus surpris les amis de Benoît XVI a été celle, ici encore poussée par le cardinal Re, de Mgr Gianfranco Ravasi, exégète italien de haut niveau, devenu président du Conseil pour la Culture – ministre de la Culture du Pape, comme on dit – en remplacement du cardinal Poupard. Mgr Ravasi avait exprimé son désappointement lorsque le cardinal Castrillón avait célébré une messe tridentine à Sainte-Marie-Majeure, le 24 mai 2003, dans un commentaire publié par Avvenire (le journal qui exprime la ligne dominante de l’épiscopat italien), le 12 juin 2003. Le très « progressiste » National Catholic Reporter(3) le donne même comme un des meilleurs papabiles libéraux pour le futur conclave. Encore faudrait-il qu’il devienne cardinal. Quels étaient les rapports de ce bibliste milanais avec le cardinal Ratzinger ? Il avait su se faire apprécier de lui, qui en avait fait un membre de la Commission théologique internationale et un membre de la Commission biblique pontificale depuis 1995. Il avait cependant été « barré » par lui pour une nomination à l’évêché d’Assise et à la prélature de Lorette. Aussi intelligent qu’il se soit montré dans ses études sur le fonctionnement de la poésie biblique et ses vulgarisations d’excellent niveau, qui correspondaient tout à fait au mode de fonctionnement intellectuel de Joseph Ratzinger, ses « différences » avec lui en en matière d’exégèse étaient difficilement contestables. Bien connue est la critique de Joseph Ratzinger à l’encontre des présupposés philosophiques des Bultmann et Dibelius, lesquels ont conclu à l’impossibilité pratique de connaître le « Jésus de l’histoire » à partir des Évangiles, qui ne témoigneraient, selon eux, que du « Jésus de la foi ».
Une déformation voulue ?
Or, à bien des égards, Gianfranco Ravasi semble n’être pas tout à fait sorti de l’influence de la vieille Form-geschichte, l’histoire des formes littéraires, telle qu’issue de Bultmann. D’où une divergence entre Mgr Ra-vasi et le Pape sur ce point fondamental – peut-on appréhender le « Jésus de l’histoire » ? – apparue de manière publique et tout à fait singulière lors de la parution d’une nouvelle édition – édition illustrée – de Jésus de Nazareth, en octobre 2008 aux éditions Rizzoli. Joseph Ratzinger dans la préface de Jésus de Nazareth avait écrit, visant les héritiers de Bultmann : « J’ai voulu faire la tentative de présenter le Jésus des Évangiles comme le Jésus réel, comme le Jésus historique en un sens vrai et propre. » Or, dans l’introduction qu’il donne à cette édition, Mgr Gianfranco Ravasi cite ainsi le Pape : « J’ai voulu faire la tentative de présenter le Jésus des Évangiles comme le Jésus réel ». Point. Et Mgr Ravasi commente cette citation tronquée – et tronquée de ce qui lui donne toute sa force – de manière sidérante : « On note l’adjectif “réel” : il n’est pas automatiquement synonyme d’“historique”, parce que nous savons que de nombreux évènements ne sont pas enregistrés, susceptibles d’être documentés et vérifiables historiquement, bien qu’ils soient profondément réels. En Jésus coexistent des dimensions diverses, historiques, mystiques et transcendantes. » Suivent des considérations qui visent à montrer un Jésus réel dans sa complexité historique et théologique. On imagine l’émotion à Rome et en Italie. « Pour le Pape “réel” est synonyme d’“historique”, pour son ministre de la Culture, non », ironisait Massimo Pandolfi dans La Nazione (21 octobre 2008). Certes, les propos de Mgr Gianfranco Ravasi pourraient s’entendre, en soi, de manière presque orthodoxe – une orthodoxie un peu gênée de l’être – mais il reste évident qu’il a au minimum « gazé » la pensée de l’auteur (garzato, recouvert d’un voile de gaze), selon l’expression consacrée en matière de correction des discours pontificaux.
Abbé Claude BARTHE
1. Chaque organisme de la Curie, et spécialement chaque Congrégation, est théoriquement gouverné par une réunion, une congrégation, de cardinaux et de prélats pouvant vivre fort loin de Rome, que le premier d’entre eux, le Préfet, consulte et convoque de temps à autre en réunion générale, la plenaria de la Congrégation.
2. Comme par hasard, un évêque allemand (la Conférence épiscopale allemande est très liée à la Conférence brésilienne qu’elle aide financièrement), Mgr Robert Zollitsch, archevêque de Fribourg-en-Brisgau, dans un entretien donné à Der Spiegel, reprenait, quelques jours après le même thème (le célibat sacerdotal est une question « discutée »). Puis ce fut le tour du cardinal Roger Etchegaray, vice-doyen du Sacré Collège, dans un entretien au Parisien. Enfin, le cardinal anglais Cormac Murphy-O’Connor, archevêque de Westminster, reprit l’antienne dans le Financial Times.
3. Du 2 mai 2008.
À la tête des Congrégations romaines, Petit tour d’horizon
Le 05 février 2009 - Eucharistie Sacrement de la Miséricorde - Porté à la papauté par une large proportion de cardinaux hostiles à ses idées rénovatrices, Benoît XVI, à l’amitié loyale, a dû conserver à des hauts postes des cardinaux plus « libéraux ». Des nominations reposant sur la sympathie ou de bonnes impressions ont ainsi pu étonner.
C’est une donnée d’expérience : quand un gouvernement de gauche prend le pouvoir dans un pays, il limoge sur le champ préfets et hauts fonctionnaires qui ne sont pas de sa couleur. Au contraire, un gouvernement de droite se montre clément et généreux, se gardant bien de mettre en œuvre tout ce qui ressemblerait à une « chasse aux sorcières ». A fortiori, la générosité des hommes qui veulent le bien de l’Église est-elle grande. Dans le cas de Benoît XVI (qui d’autre part n’a pas succédé à un pape « de gauche »), s’ajoute le fait qu’une large fraction de ceux qui l’ont porté à la papauté ne partage pas certaines des options qui lui tiennent le plus à cœur. Dès lors, gouverner sans eux eût été sans doute plus contraire à la prudence que de gouverner aussi avec eux. D’autant que, homme qui cultive l’amitié loyale, ce pontife peut passer magnanimement sur les inconvénients « idéologiques » des personnes avec lesquelles il a, au long de sa vie, tissé des liens de sympathie, dès l’instant qu’il estime que ce seront de bons serviteurs de l’Église.
Le cardinal Hummes, à la Congrégation pour le Clergé
Ainsi, pour remplacer le cardinal Cas-trillón à la tête de la Congrégation pour le Clergé, Benoît XVI a choisi un prélat qu’il aimait bien, le cardinal Hummes, archevêque de São Paulo, membre depuis 2001 de la Congrégation pour la Doctrine de la foi (1). Religieux franciscain, d’origine allemande, Claudio Hummes est un intellectuel (il a fait une thèse sur Maurice Blondel). Il s’était jadis spécialisé dans l’œcuménisme et avait donné toutes les apparences de frayer avec une théologie de la libération fort épicée. Il s’était ensuite recentré, en tout cas relativement, et pas en tous les domaines. Au Brésil, où comme dans toute l’Amérique latine la carence de prêtres est énorme, il avait favorisé la multiplication d’ordinations de diacres mariés, corps « intermédiaire », que les libéraux considèrent comme un vivier de futurs prêtres mariés. Quelle donc ne fut pas la surprise du Pape et du cardinal Bertone de lire l’entretien que le cardinal Hummes avait accordé, avant de prendre l’avion pour Rome, au journal brésilien Estado de São Paulo, dans lequel le nouveau Préfet de la Congrégation pour le Clergé (le Clergé !) envisageait la possibilité d’ordination de prêtres mariés ! (2) Le coup porté était si inattendu – à Rome, pas au Brésil – que certains allèrent jusqu’à lui prêter les calculs les plus machiavéliques : compte tenu de l’âge du Pape, ne prenait-il pas déjà ses marques pour un futur conclave ? Démentis, explications, précisions, n’empêchèrent pas de penser que l’on s’était tout de même trompé sur le profil du personnage ainsi promu à ce poste-clé pour l’avenir du sacerdoce latin. D’autant qu’une lettre expédiée par des prêtres brésiliens arrivée ensuite sur le bureau du cardinal Hummes, et qui demandait que soit revue la discipline du célibat ecclésiastique pour le clergé séculier, avait été concoctée par un groupe de travail réuni dans le diocèse de São Paulo, au sein duquel se trouvaient Mgr Esmeraldo Barre -to de Farias, évêque de Santarém, Mgr Dimas Lara Barbosa, évêque auxiliaire de Rio de Janeiro, Secrétaire de la Conférence épiscopale, et… le cardinal Hummes lui-même, destinataire de la lettre. Qui plus est, membre de la Congrégation pour les Évêques, le cardinal Hummes dispose en outre de grands pouvoirs pour faire nommer au Brésil des évêques qui ne sont pas, on s’en doute, des restaurationnistes. On comprend qu’il ait été bientôt flanqué d’un Secrétaire de Congrégation donnant toutes assurances de droite pensée en matière de discipline sacerdotale latine.
Le cas de William Levada n’est pas sans quelque analogie. Cardinal depuis 2006, il avait été appelé dès le mois de mai 2005 à remplacer le nouveau Pape à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la foi. Archevêque de Portland en 1986, de San Francisco en 1995, il avait été associé à l’élaboration de plusieurs textes de la Congrégation pour la Doctrine de la foi, dont il est devenu membre en 2000. Il était pour Joseph Ratzinger le principal soutien épiscopal aux États-Unis contre les théologiens du « dissentiment » moral (les théologiens s’opposant à Humanae Vitae et à tous les documents subséquents). Mais, de caractère prudent et mesuré, William Levada a toujours été un homme de compromis. On lui reprochait quelques faiblesses impensables chez ses confrères de stricte orthodoxie, comme son étonnante tolérance de la paroisse du Most Holy Redeemer Church, à San Francisco, composée essentiellement de fidèles gays et lesbiennes. À la vérité, la déception la plus importante est venue du fait que la gestion de la Congrégation pour la Doctrine de la foi par son nouveau Préfet s’est avérée plutôt grise. Dans les nominations américaines, il a également exercé son influence en privilégiant la désignation de prélats très modérés sinon « ouverts ». Ainsi a-t-il appuyé la nomination de Mgr Niederauer, qui n’est pas précisément un conservateur, pour être son successeur à San Francisco, et celle de Mgr Collins à l’archevêché de Toronto. Il est vrai que la vraie cheville ouvrière de la Congrégation pour la Doctrine de la foi restait son Secrétaire, Angelo Amato, très proche de Joseph Ratzinger et de Tarcisio Bertone, fils de Don Bosco comme ce dernier, qui vient d’être remplacé par le jésuite Luis Ladaria Ferrer, secrétaire de la Commission théologique internationale.
Des opinions divergentes sur la Fraternité Saint-Pie X
Il faut ajouter que le cardinal Levada n’a pas caché sa perplexité lors des réunions cardinalices où ont été évoquées la libéralisation de la messe tridentine et la réintégration de la Fraternité Saint-Pie X. Il aurait même marqué son opposition à une éventuellement réintégration des évêques de cette Fraternité, en suggérant, contre le précédent de la solution trouvée pour l’évêque traditionaliste de Campos (lequel a été « officialisé », malgré le fait qu’il était un « Lefebvre de deuxième génération » consacré par les évêques de la communauté de Mgr Lefebvre), et surtout contre tout bon sens, de réintégrer ces évêques dans l’état où ils se trouvaient au moment de leur « sortie d’Église » – en l’espèce en l’état de prêtres –, comme s’il s’agissait de prêtres catholiques consacrés évêques dans des sectes. On a longtemps pensé que le cardinal Levada serait éloigné de Rome et promu au siège de New York. Mais son état de santé se détériore de jour en jour et c’est plutôt de démission pure et simple qu’il serait question.
Quant au cardinal Ivan Dias, aujourd’hui malade et dans un état de très grande fatigue, il a été nommé à la tête de la Congrégation pour l’Évangélisation des peuples, en remplacement du cardinal Crescenzio Sepe, en 2006. Il appartenait lui aussi à la Congrégation pour la Doctrine de la foi quand il était archevêque de Bombay. Jadis proche du cardinal Silvestrini, on a pu noter que son attitude vis-à-vis des manifestations les plus singulières du dialogue interreligieux était d’une grande tolérance. En outre, comme le cardinal Levada, il est loin d’être sur la même longueur d’onde que Benoît XVI pour les questions liturgiques et s’était même illustré à Bombay par une hostilité contre tous les traditionalismes, officiels ou non.
Mais la nomination qui a le plus surpris les amis de Benoît XVI a été celle, ici encore poussée par le cardinal Re, de Mgr Gianfranco Ravasi, exégète italien de haut niveau, devenu président du Conseil pour la Culture – ministre de la Culture du Pape, comme on dit – en remplacement du cardinal Poupard. Mgr Ravasi avait exprimé son désappointement lorsque le cardinal Castrillón avait célébré une messe tridentine à Sainte-Marie-Majeure, le 24 mai 2003, dans un commentaire publié par Avvenire (le journal qui exprime la ligne dominante de l’épiscopat italien), le 12 juin 2003. Le très « progressiste » National Catholic Reporter(3) le donne même comme un des meilleurs papabiles libéraux pour le futur conclave. Encore faudrait-il qu’il devienne cardinal. Quels étaient les rapports de ce bibliste milanais avec le cardinal Ratzinger ? Il avait su se faire apprécier de lui, qui en avait fait un membre de la Commission théologique internationale et un membre de la Commission biblique pontificale depuis 1995. Il avait cependant été « barré » par lui pour une nomination à l’évêché d’Assise et à la prélature de Lorette. Aussi intelligent qu’il se soit montré dans ses études sur le fonctionnement de la poésie biblique et ses vulgarisations d’excellent niveau, qui correspondaient tout à fait au mode de fonctionnement intellectuel de Joseph Ratzinger, ses « différences » avec lui en en matière d’exégèse étaient difficilement contestables. Bien connue est la critique de Joseph Ratzinger à l’encontre des présupposés philosophiques des Bultmann et Dibelius, lesquels ont conclu à l’impossibilité pratique de connaître le « Jésus de l’histoire » à partir des Évangiles, qui ne témoigneraient, selon eux, que du « Jésus de la foi ».
Une déformation voulue ?
Or, à bien des égards, Gianfranco Ravasi semble n’être pas tout à fait sorti de l’influence de la vieille Form-geschichte, l’histoire des formes littéraires, telle qu’issue de Bultmann. D’où une divergence entre Mgr Ra-vasi et le Pape sur ce point fondamental – peut-on appréhender le « Jésus de l’histoire » ? – apparue de manière publique et tout à fait singulière lors de la parution d’une nouvelle édition – édition illustrée – de Jésus de Nazareth, en octobre 2008 aux éditions Rizzoli. Joseph Ratzinger dans la préface de Jésus de Nazareth avait écrit, visant les héritiers de Bultmann : « J’ai voulu faire la tentative de présenter le Jésus des Évangiles comme le Jésus réel, comme le Jésus historique en un sens vrai et propre. » Or, dans l’introduction qu’il donne à cette édition, Mgr Gianfranco Ravasi cite ainsi le Pape : « J’ai voulu faire la tentative de présenter le Jésus des Évangiles comme le Jésus réel ». Point. Et Mgr Ravasi commente cette citation tronquée – et tronquée de ce qui lui donne toute sa force – de manière sidérante : « On note l’adjectif “réel” : il n’est pas automatiquement synonyme d’“historique”, parce que nous savons que de nombreux évènements ne sont pas enregistrés, susceptibles d’être documentés et vérifiables historiquement, bien qu’ils soient profondément réels. En Jésus coexistent des dimensions diverses, historiques, mystiques et transcendantes. » Suivent des considérations qui visent à montrer un Jésus réel dans sa complexité historique et théologique. On imagine l’émotion à Rome et en Italie. « Pour le Pape “réel” est synonyme d’“historique”, pour son ministre de la Culture, non », ironisait Massimo Pandolfi dans La Nazione (21 octobre 2008). Certes, les propos de Mgr Gianfranco Ravasi pourraient s’entendre, en soi, de manière presque orthodoxe – une orthodoxie un peu gênée de l’être – mais il reste évident qu’il a au minimum « gazé » la pensée de l’auteur (garzato, recouvert d’un voile de gaze), selon l’expression consacrée en matière de correction des discours pontificaux.
Abbé Claude BARTHE
1. Chaque organisme de la Curie, et spécialement chaque Congrégation, est théoriquement gouverné par une réunion, une congrégation, de cardinaux et de prélats pouvant vivre fort loin de Rome, que le premier d’entre eux, le Préfet, consulte et convoque de temps à autre en réunion générale, la plenaria de la Congrégation.
2. Comme par hasard, un évêque allemand (la Conférence épiscopale allemande est très liée à la Conférence brésilienne qu’elle aide financièrement), Mgr Robert Zollitsch, archevêque de Fribourg-en-Brisgau, dans un entretien donné à Der Spiegel, reprenait, quelques jours après le même thème (le célibat sacerdotal est une question « discutée »). Puis ce fut le tour du cardinal Roger Etchegaray, vice-doyen du Sacré Collège, dans un entretien au Parisien. Enfin, le cardinal anglais Cormac Murphy-O’Connor, archevêque de Westminster, reprit l’antienne dans le Financial Times.
3. Du 2 mai 2008.
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