Moeurs
Sacré dimanche !
Même Dieu se repose, comme le rappelle la Genèse, le premier livre de la Bible : « Dieu acheva au septième jour son œuvre, qu'il avait faite : et il se reposa au septième jour de toute son œuvre, qu'il avait faite. Dieu bénit le septième jour, et il le sanctifia, parce qu'en ce jour il se reposa de toute son œuvre qu'il avait créée en la faisant » (Bible de Jérusalem, Genèse, 2, 2).
La Création du monde, il est vrai, méritait bien un jour de récupération... Cette pratique, les Hébreux en firent l'un de leurs commandements les plus stricts. Ainsi lit-on dans le livre de l'Exode : « Tu te souviendras du jour du sabbat pour le sanctifier. Pendant six jours tu travailleras et tu feras tout ton ouvrage ; mais le septième jour est un sabbat pour Yahvé ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, ni ton serviteur, ni ta servante, ni tes bêtes, ni l'étranger qui est dans tes portes. Car en six jours Yahvé a fait le ciel, la terre et la mer et tout ce qu'ils contiennent, mais il s'est reposé le septième jour ; c'est pourquoi Yahvé a béni le jour du sabbat et l'a sanctifié » (Exode, 20, 2-17).
Le dimanche ? C'est après le samedi !
Les juifs ont inventé le sabbat (d'un mot hébreu qui veut dire « repos »), quelques siècles avant notre ère, mais c'est aux Assyriens que revient l'invention de la semaine, au XIXe siècle avant notre ère.
Son nom vient du latin septimana, « septième », adjectif qui renvoie à l'adoption par le monde romain de la division assyrienne du temps en périodes de sept jours. Les Assyriens choisirent ce chiffre après avoir observé le cycle de la Lune d'une durée totale de vingt-huit jours (à peu de chose près), divisée en quatre périodes.
Toujours la tête dans les étoiles, les habitants de la Mésopotamie baptisèrent les jours d'après le nom des planètes et cette tradition fut reprise par les Romains : Soleil, Lune, Mars, Mercure, Jupiter, Vénus et Saturne.
En sacralisant le septième jour, soit le sabbat, et en le vouant à la prière, loin des contingences quotidiennes, les juifs manifestent l'alliance entre Dieu et son peuple. Pour les rabbins, l'obligation du repos hebdomadaire a aussi la vertu de libérer les hommes de l'esclavage du travail en leur permettant d'y échapper au moins un jour sur sept. C'est la « re-création » (ou récréation), le moment où chacun reconstitue ses forces mentales, spirituelle et physique.
Aux premiers temps du christianisme, quand les fidèles de la nouvelle religion s'attachèrent à célébrer le jour de la Résurrection, ils choisirent opportunément le solis dies, le « jour du Soleil » des Romains (toujours reconnaissable dans le sunday anglais). Ainsi naquit le dimanche (du latin domenica dius : « le jour du Seigneur »), substitut chrétien au sabbat.
Dans certains pays comme les États-Unis ou le Canada, de même qu'en Israël, se perpétue la tradition antique de faire débuter la semaine le dimanche. Mais dans la plupart des pays de culture chrétienne, c'est le lundi qui a fini par se placer en pole position, sans doute parce qu'il est apparu étrange de débuter une période de travail par du repos.
Les sociétés musulmanes ont choisi le vendredi comme jour de repos pour se différencier des chrétiens et des juifs et débutent la semaine le dimanche.
Se reposer ne signifie pas ne rien faire
L'empereur Constantin le Grand, en 321, s'est penché sur le calendrier avant de décréter que, « au jour vénérable du soleil, les magistrats et les habitants se reposent et que tous les ateliers soient fermés ». Plus de « travaux serviles » donc, mais les activités agricoles sont encore autorisées.
Voici notre dimanche devenu non seulement un jour de prière mais aussi de repos, à l'image du sabbat.
Pour clarifier la situation, les autorités religieuses puis politiques établissent la liste des activités autorisées ou non : plus de possibilité de faire des affaires sur les marchés par exemple pour les commerçants de l'époque carolingienne, un demi-millénaire après Constantin.
Au Moyen Âge, les dimanches mais aussi les fêtes religieuses ou votives agrémentent le calendrier de très nombreuses occasions de repos et de rencontres festives. Plus d'un jour sur trois est chômé. Autant dire que nos ancêtres n'avaient rien à nous envier en matière de congés (payés ou non).
La participation à la messe dominicale est encouragée et les croyants sont invités à faire œuvre charitable et visiter les humbles et les malades. Mais sans beaucoup de succès... Le clergé regarde d'un œil soupçonneux ces cabarets attenants à l'église, refuges pleins de vie pour les habitants des hameaux venus au bourg passer la journée.
À partir du XVIe siècle, la messe dominicale devient dans les villages un rituel social. L'habitude se prend de sortir ses plus beaux atours pour aller à la messe rencontrer ses coreligionnaires ...et se montrer !
Aux Temps modernes, sous l'influence de la Réforme protestante et de la Contre-Réforme catholique, les préconisations dominicales se font plus sévères qu'aux siècles précédents.
Par un retour aux sources bibliques, les puritains de Grande-Bretagne, les luthériens d'Allemagne et les calvinistes de Genève et des Pays-Bas imposent un repos dominical d'une extrême rigueur, avec en particulier la fermeture des débits de boissons, dont subsistent encore la trace en Europe centrale et même outre-Manche, en dépit de la libéralisation des moeurs.
Les pays catholiques manifestent une bien moindre sévérité, au grand dam du clergé. En 1644, sous le règne de Louis XIV, l'évêque d'Évreux accuse le diable, « pour profaner le dimanche, d'introduire les danses, les chansons dissolues, les gourmandises, les ivrogneries, les querelles » ! D'ailleurs, les prédicateurs n'affirment-ils pas que des hommes ont reçu la foudre pour avoir labouré pendant l'appel à la prière du dimanche ? (...)
Vers la banalisation du dimanche
Au terme de notre parcours, il apparaît que le repos dominical ne porte pas atteinte aux performances économiques. Bien au contraire, en ajoutant du sens à l'existence humaine et en renforçant les liens sociaux, il encourage chacun à donner le meilleur de lui-même pour la communauté.
Il n'est pas sans intérêt d'observer qu'aujourd'hui encore, en ce début du XXIe siècle, les pays d'Europe qui affichent les meilleures performances économiques sont ceux qui ont conservé au dimanche sa valeur biblique : un jour de repos et de sociabilité pour échapper à l'esclavage du travail. Ces pays sont l'Allemagne et l'Autriche. A contrario, ceux qui ont cédé aux sirènes de l'ultralibéralisme et supprimé toute restriction calendaire au travail salarié se classent parmi les cancres. Ainsi en va-t-il du Portugal ou du Royaume-Uni.
Mais la pression en faveur de la banalisation du dimanche est plus forte que jamais. Ses partisans mettent en avant le confort des ménages (disposer du dimanche en plus du samedi pour faire les courses), la satisfaction des touristes étrangers, même s'il est rare que ceux-ci séjournent en France seulement un dimanche, et la concurrence du commerce électronique, en oubliant que, si l'on peut commander à tout moment sur internet, on est livré au mieux deux jours plus tard et jamais le dimanche…
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