Nicolas Senèze, à Rome, le 24/03/2017 à 20h12
Les dirigeants de 27 États de l’Union européenne ont été reçus vendredi soir 24 mars au Vatican par le pape François qui leur a livré une exigeante « leçon d’Europe », soulignant son espérance dans l’avenir de la construction européenne
Le pape François accueille les dirigeants de 27 États de l’Union européenne au Vatican, le 24 mars 2017. / HO/AFP
Le pape François a livré aux dirigeants européens une véritable « leçon d’Europe », vendredi 24 mars. Les recevant en début de soirée au Vatican, à la veille de leur réunion de commémoration du soixantième anniversaire de la signature des traités fondateurs de la construction européenne, il les a exhortés à l’espérance d’une « nouvelle jeunesse ».
Sous les fresques de la Salle Royale du Palais apostolique, qui rappellent les grands événements de l’histoire de l’Église, François a commencé par rappeler les fondamentaux de la construction européenne. S’appuyant longuement sur les paroles des pères fondateurs, il en a souligné « l’esprit de service, uni à la passion politique et à la conscience qu’"à l’origine de [cette] civilisation européenne se trouve le christianisme" ».
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« Comme on a peiné pour faire tomber ce mur ! »
Pour le pape, l’Europe est un projet civilisationnel. « Elle est une vie, une manière de concevoir l’homme à partir de sa dignité transcendante et inaliénable, et non pas seulement comme un ensemble de droits à défendre, ou de prétentions à revendiquer », a-t-il insisté, citant l’Italien Alcide De Gasperri.
L’Europe doit rester fidèle à cet esprit de solidarité, « d’autant plus nécessaire aujourd’hui devant les poussées centrifuges comme aussi devant la tentation de réduire les idéaux fondateurs de l’Union aux nécessités productives, économiques et financières ».
François a rappelé les crises que traverse l’Europe : « crise économique », « crise de la famille et des modèles sociaux consolidés », « crise des institutions », « crise des migrants » : « beaucoup de crises, qui cachent la peur et le désarroi profond de l’homme contemporain, qui demande une nouvelle herméneutique pour l’avenir ».
« Il revient à celui qui gouverne de discerner les voies de l’espérance »
Pour le pape, cependant, « le terme “crise” n’a pas en soi une connotation négative » mais indique « un temps de discernement ». Et « il revient à celui qui gouverne de discerner les voies de l’espérance, d’identifier les parcours concrets pour faire en sorte que les pas significatifs accomplis jusqu’ici ne se perdent pas, mais soient le gage d’un long et fructueux chemin ».
« Ne pas s’enfermer dans la peur et de fausses sécurités »
François s’est alors lancé dans une ample tirade pleine de souffle, invitant l’Europe à « retrouver l’espérance ». « L’Europe retrouve l’espérance lorsque l’homme est le centre et le cœur de ses institutions », a-t-il assuré appelant à dépasser le « décrochage affectif » entre les citoyens et les institutions en retrouvant un « esprit de famille », d’une « famille de peuples », cette « communauté » des débuts.
« L’Europe retrouve l’espérance dans la solidarité qui est aussi le plus efficace antidote contre les populismes modernes », qui « prospèrent précisément à partir de l’égoïsme », a-t-il aussi affirmé. Il a appelé à « recommencer à penser de manière européenne, pour conjurer le danger opposé d’une uniformité grise, c’est-à-dire le triomphe des particularismes ».
« Quelle culture propose l’Europe aujourd’hui ? »
« L’Europe retrouve l’espérance lorsqu’elle ne s’enferme pas dans la peur et dans de fausses sécurités », a-t-il encore martelé, revenant sur la question migratoire dont il a rappelé qu’elle n’était pas « un problème numérique, économique ou de sécurité », mais posait « un problème plus profond, qui est d’abord culturel ».
« Quelle culture propose l’Europe aujourd’hui ? » s’est-il alors interrogé. « La peur, souvent visible, trouve, en effet, dans la perte d’idéaux sa plus radicale cause. Sans une vraie perspective d’idéaux, on finit par être dominé par la crainte que l’autre nous arrache à nos habitudes consolidées, nous prive des conforts acquis, mette en quelque sorte en cause un style de vie trop souvent fait uniquement de bien-être matériel. »
« Je pense que l’Europe mérite d’être construite »
Évoquant une Europe « qui, depuis l’Oural arrive à l’Atlantique », François l’a exhorté à être « un patrimoine d’idéaux et de spiritualité unique au monde, qui mérite d’être proposé à nouveau avec passion et avec une fraîcheur renouvelée ». C’est « le meilleur antidote contre le vide de valeurs de notre temps, terrain fertile pour toute forme d’extrémisme », a-t-il assuré.
Enfin, « l’Europe retrouve l’espérance lorsqu’elle s’ouvre à l’avenir », a-t-il conclu. « Lorsqu’elle s’ouvre aux jeunes, en leur offrant de sérieuses perspectives d’éducation, de réelles possibilités d’insertion dans le monde du travail. Lorsqu’elle investit dans la famille, qui est la première et fondamentale cellule de la société. Lorsqu’elle respecte la conscience et les idéaux de ses citoyens. Lorsqu’elle garantit la possibilité d’avoir des enfants, sans la peur de ne pas pouvoir les entretenir. Lorsqu’elle défend la vie dans toute sa sacralité. » C’est à cette « nouvelle jeunesse » que le pape du Nouveau Continent a appelé cette Vieille Europe dont il croit qu’elle « mérite d’être construite ».
« Son succès dépendra de la volonté de travailler une fois encore ensemble et de la volonté de parier sur l’avenir », a-t-il insisté, renvoyant, encore une fois, les dirigeants européens à leurs responsabilités. « Cela signifie ne pas avoir peur de prendre des décisions efficaces, en mesure de répondre aux problèmes réels des personnes et de résister à l’épreuve du temps ».
Les dirigeants européens signeront justement samedi 25 mars une déclaration commune sur l’avenir de l’Europe – sans la Grande-Bretagne, qui devrait enclencher le 29 mars la procédure du Brexit.
Nicolas Senèze, à Rome