Des réfugiés sur un bateau de Médecins sans frontières, à Pozzallo, en Sicile, le 25 avril.
Photo Antonio Parrinello. Reuters
INTERVIEW
Sommet humanitaire : «On n’est pas dans un sommet de pays riches qui parlent de pays pauvres»
Par Isabelle Hanne — 22 mai 2016 à 18:51
Nombre d’acteurs de l’aide d’urgence sont réunis à partir de ce lundi à Istanbul sous l’égide de l’ONU. Olivier Ray, de l’Agence française de développement, en détaille les enjeux.
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INTERVIEW
Sommet humanitaire : «On n’est pas dans un sommet de pays riches qui parlent de pays pauvres»
Par Isabelle Hanne — 22 mai 2016 à 18:51
Nombre d’acteurs de l’aide d’urgence sont réunis à partir de ce lundi à Istanbul sous l’égide de l’ONU. Olivier Ray, de l’Agence française de développement, en détaille les enjeux.
Près de 6 000 personnes issues de 80 pays se retrouvent à Istanbul, en Turquie, ce lundi pour le premier Sommet humanitaire mondial. Agences onusiennes, bailleurs de fonds, Etats, ONG, entreprises… Tous les acteurs de l’aide d’urgence vont dialoguer pendant deux jours. Ambition : réformer le système humanitaire pour mieux le dimensionner aux crises d’aujourd’hui. Olivier Ray, responsable de la cellule «prévention des crises et sortie de conflits» de l’Agence française de développement, veut profiter de ce sommet onusien pour mieux mettre en évidence la continuité entre urgence humanitaire et politiques de développement.
Vit-on des crises humanitaires sans précédent ?
Il faut se méfier de l’effet loupe de l’actualité, mais il est vrai que le monde connaît une multiplication de crises de deux natures différentes. Celles que le système des Nations unies appelle les «crises L3» [la classification de l’ONU pour les crises humanitaires les plus graves et à grande échelle, ndlr], de très grave intensité. Il y en a quatre aujourd’hui : Irak, Syrie, Sud-Soudan et République centrafricaine.
Et, dans le même temps, des crises chroniques non résolues, qui s’installent dans la durée. L’enjeu, c’est de pouvoir mieux traiter parallèlement ces deux types de crises.
Qui sera vraiment autour de la table ?
On est sur des processus de gestion de la crise multi-acteurs. Ce ne sont pas les ONG seules qui vont pouvoir résoudre le problème, ni les Etats seuls. On n’est pas dans un sommet de pays riches qui parlent des pays pauvres, ni dans un sommet de pays pauvres qui parlent des pays pauvres. Cette dichotomie n’a plus de sens : la Turquie, par exemple, est à la fois bailleur de fonds et récipiendaire de l’aide humanitaire et au développement.
On voit débarquer des phénomènes de crise, notamment avec la prise en charge des migrants, dans des pays qui n’y étaient jusqu’ici pas habitués. L’ensemble des pays de la planète commencent à être confrontés aux dérèglements du monde. Cela montre bien la tectonique des plaques à l’œuvre dans l’évolution des crises. Il y a des frictions, des divergences, comme entre tous types d’acteurs différents. Mais il faut qu’il y ait des débats pour qu’il y ait changements.
Vous parlez de Médecins sans frontières qui boycotte le sommet et fustige un «simulacre de bonnes intentions» ?
Par exemple. MSF est très inquiet des atteintes au droit international humanitaire. Ils ont raison : plusieurs de leurs structures de soin ont été prises pour cibles par des parties au combat [au Yémen et en Syrie notamment, ndlr] et c’est inacceptable. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le droit international humanitaire, une norme fondamentale à laquelle on ne peut pas déroger.
Y a-t-il eu une autocritique depuis des crises, comme Haïti, qui ont montré les limites de l’aide ?
Nous sommes conscients de nos limites. On sait que, trop souvent, on intervient trop tard dans une crise, et qu’on part trop tôt. Qu’on s’intéresse trop peu aux répercussions sous-régionales : on agit là où ça pète, mais on s’occupe trop peu des effets de contagion de la crise dans les territoires à la périphérie. On a trop tendance à faire du sans-Etat, c’est-à-dire qu’on court-circuite les autorités en place. Pour se rendre compte, dix ans plus tard, qu’on n’a plus d’interlocuteurs… Et qu’on a encore plus contribué à délégitimer ces autorités. On peut dire la même chose des ONG locales, sur lesquelles on ne s’appuie pas assez.
Il y a aussi «l’effet CNN», avec la focale internationale braquée sur une crise chaude. Des financements massifs sont apportés, alors qu’il y a peu de capacités d’absorption. Ce n’est pas parce qu’on déverse un milliard de dollars sur un pays que ça a un impact immédiat. On peut aussi parler de l’effet massue du post-crise sous-financé. Où on laisse, une fois passé l’effet CNN, un pays sans ressources jusqu’à la prochaine crise. Ainsi, en République centrafricaine, la communauté internationale s’est désengagée et ça a préparé la crise d’après.
Peut-on vraiment changer cela ?
Si on anticipe mieux les crises et qu’on travaille sur les causes sous-jacentes, on peut éviter beaucoup de drames humains. Il y a un phénomène de double peine si on ne traite pas les crises en amont. On va non seulement payer les coûts de la crise, d’une aide humanitaire onéreuse et potentiellement d’une intervention militaire s’il n’y a plus le choix, mais on devra aussi traiter les causes à l’origine.
L’exemple d’Ebola est assez symptomatique. Les crises sanitaires se déclenchent toujours là où le maillon de la chaîne épidémiologique mondiale est le plus faible, dans les systèmes de santé les plus défectueux. Si on avait mis le paquet sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest, on n’aurait pas eu la crise Ebola. Mais nous n’avons pas rien fait non plus : grâce à nos actions de coopération, les structures de santé ont tenu le choc. Le problème de la prévention, c’est que quand ça marche, ça ne se voit pas.
Isabelle Hanne
Vit-on des crises humanitaires sans précédent ?
Il faut se méfier de l’effet loupe de l’actualité, mais il est vrai que le monde connaît une multiplication de crises de deux natures différentes. Celles que le système des Nations unies appelle les «crises L3» [la classification de l’ONU pour les crises humanitaires les plus graves et à grande échelle, ndlr], de très grave intensité. Il y en a quatre aujourd’hui : Irak, Syrie, Sud-Soudan et République centrafricaine.
Et, dans le même temps, des crises chroniques non résolues, qui s’installent dans la durée. L’enjeu, c’est de pouvoir mieux traiter parallèlement ces deux types de crises.
Qui sera vraiment autour de la table ?
On est sur des processus de gestion de la crise multi-acteurs. Ce ne sont pas les ONG seules qui vont pouvoir résoudre le problème, ni les Etats seuls. On n’est pas dans un sommet de pays riches qui parlent des pays pauvres, ni dans un sommet de pays pauvres qui parlent des pays pauvres. Cette dichotomie n’a plus de sens : la Turquie, par exemple, est à la fois bailleur de fonds et récipiendaire de l’aide humanitaire et au développement.
On voit débarquer des phénomènes de crise, notamment avec la prise en charge des migrants, dans des pays qui n’y étaient jusqu’ici pas habitués. L’ensemble des pays de la planète commencent à être confrontés aux dérèglements du monde. Cela montre bien la tectonique des plaques à l’œuvre dans l’évolution des crises. Il y a des frictions, des divergences, comme entre tous types d’acteurs différents. Mais il faut qu’il y ait des débats pour qu’il y ait changements.
Vous parlez de Médecins sans frontières qui boycotte le sommet et fustige un «simulacre de bonnes intentions» ?
Par exemple. MSF est très inquiet des atteintes au droit international humanitaire. Ils ont raison : plusieurs de leurs structures de soin ont été prises pour cibles par des parties au combat [au Yémen et en Syrie notamment, ndlr] et c’est inacceptable. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le droit international humanitaire, une norme fondamentale à laquelle on ne peut pas déroger.
Y a-t-il eu une autocritique depuis des crises, comme Haïti, qui ont montré les limites de l’aide ?
Nous sommes conscients de nos limites. On sait que, trop souvent, on intervient trop tard dans une crise, et qu’on part trop tôt. Qu’on s’intéresse trop peu aux répercussions sous-régionales : on agit là où ça pète, mais on s’occupe trop peu des effets de contagion de la crise dans les territoires à la périphérie. On a trop tendance à faire du sans-Etat, c’est-à-dire qu’on court-circuite les autorités en place. Pour se rendre compte, dix ans plus tard, qu’on n’a plus d’interlocuteurs… Et qu’on a encore plus contribué à délégitimer ces autorités. On peut dire la même chose des ONG locales, sur lesquelles on ne s’appuie pas assez.
Il y a aussi «l’effet CNN», avec la focale internationale braquée sur une crise chaude. Des financements massifs sont apportés, alors qu’il y a peu de capacités d’absorption. Ce n’est pas parce qu’on déverse un milliard de dollars sur un pays que ça a un impact immédiat. On peut aussi parler de l’effet massue du post-crise sous-financé. Où on laisse, une fois passé l’effet CNN, un pays sans ressources jusqu’à la prochaine crise. Ainsi, en République centrafricaine, la communauté internationale s’est désengagée et ça a préparé la crise d’après.
Peut-on vraiment changer cela ?
Si on anticipe mieux les crises et qu’on travaille sur les causes sous-jacentes, on peut éviter beaucoup de drames humains. Il y a un phénomène de double peine si on ne traite pas les crises en amont. On va non seulement payer les coûts de la crise, d’une aide humanitaire onéreuse et potentiellement d’une intervention militaire s’il n’y a plus le choix, mais on devra aussi traiter les causes à l’origine.
L’exemple d’Ebola est assez symptomatique. Les crises sanitaires se déclenchent toujours là où le maillon de la chaîne épidémiologique mondiale est le plus faible, dans les systèmes de santé les plus défectueux. Si on avait mis le paquet sur les systèmes de santé en Afrique de l’Ouest, on n’aurait pas eu la crise Ebola. Mais nous n’avons pas rien fait non plus : grâce à nos actions de coopération, les structures de santé ont tenu le choc. Le problème de la prévention, c’est que quand ça marche, ça ne se voit pas.
Isabelle Hanne
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