AMAELLE GUITON 27 FÉVRIER 2015 À 20:06
Après la décision de la FCC, qui a voté à 3 voix contre 2 pour le reclassement de l'accès à Internet en «service de télécommunications». (Photo Mark Wilson. AFP)
DÉCRYPTAGE
L’autorité de régulation des télécoms a renforcé le principe de la «neutralité du Net».
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La neutralité du web, à la porte des États-Unis
Une «victoire épique». Chez les participants à la campagne «Battle for the Net» - des associations de défense des libertés civiles, mais aussi la plateforme de vidéos Netflix, le site communautaire Reddit ou la Fondation Mozilla, qui développe le navigateur Firefox -, on ne boude pas son plaisir. Jeudi, la Federal Communications Commission (FCC), l’autorité américaine de régulation des télécoms, a voté - à 3 voix contre 2 - une nouvelle réglementation qui reclassifie l’accès à l’Internet haut débit en «service de télécommunications», autrement dit en service d’utilité publique. Ce qui donne au régulateur la capacité de faire appliquer le principe d’égal accès de tous au réseau, dit de «neutralité du Net». Une notion qui fait l’objet d’âpres batailles, aux Etats-Unis comme en Europe.
C’est quoi, la neutralité du Net ?
Popularisé en 2003 par Tim Wu, professeur de droit à l’université de Columbia à New York, ce principe «signifie que les données qui circulent sont de la responsabilité des utilisateurs ou des applications, mais pas du réseau lui-même»,explique Benjamin Bayart, militant de la neutralité du Net et président de la Fédération française des fournisseurs d’accès à Internet associatifs. «Il y a une obligation d’acheminement, mais pas de droits sur ce qui est transmis. En matière de courrier postal, cela ne fait plus de doute depuis le XVIIIe siècle.»
En matière d’Internet, c’est une autre histoire. Aux Etats-Unis comme en Europe, les grands opérateurs se plaignent que les fournisseurs de vidéo, notamment, consomment de plus en plus de bande passante sans contribuer aux investissements. Et militent pour une «priorisation» de certains contenus par le biais d’accords commerciaux. Outre-Atlantique, Netflix a déjà passé ce type d’accord l’an dernier avec les câblo-opérateurs Comcast et Verizon. En clair, un Internet à deux vitesses avec, pour l’utilisateur, un débit - donc une qualité - dégradé si le service qu’il consulte n’a pas passé d’accord avec son fournisseur d’accès à Internet (FAI). A contrario, pour les promoteurs de la neutralité du Net, «les opérateurs ne doivent pas pouvoir faire ce qu’ils veulent, avance Benjamin Bayart. Seules les plus grosses plateformes auront les moyens de passer des accords. Et cela pose un problème de libertés fondamentales, en termes d’accès à l’information pour les citoyens».
Qu’a décidé l’autorité américaine des télécoms ?
A rebours de sa proposition de mai 2014 qui prévoyait que les opérateurs puissent instaurer un «traitement préférentiel» pour certains services, la FCC a cette fois adopté une position qui leur est beaucoup moins favorable. Son règlement sur«l’Internet ouvert» interdit aux opérateurs de bloquer l’accès à des contenus légaux, de ralentir le débit en fonction du contenu échangé ou des applications, ou de mettre en place des «voies rapides» moyennant finances. Entre-temps, la consultation lancée par le régulateur lui a valu de recevoir 4 millions de messages, en partie provoqués par un sketch du comique John Oliver dans son émission Last Week Tonight en juin. Sans compter, le 10 septembre, la journée de «ralentissement de l’Internet» organisée par Battle for the Net, puis les déclarations de Barack Obama au mois de novembre en faveur d’un «Internet libre et ouvert».
La neutralité du Net n’est pas pour autant gravée dans le marbre aux Etats-Unis. Plusieurs grands opérateurs ont déjà annoncé leur intention d’attaquer en justice cette réglementation, comme Verizon l’avait d’ailleurs déjà fait en 2010 lorsque la FCC avait voulu s’opposer aux «discriminations déraisonnables» en matière de gestion de trafic. Le même Verizon a d’ailleurs publié dès jeudi un communiqué en… morse, pour dénoncer l’imposition de «lois des années 30». La suite pourrait aussi se jouer au Congrès, où les démocrates, plutôt favorables au principe de neutralité du réseau, sont minoritaires. D’ailleurs, sur son site, Battle for the Net engage déjà les internautes à écrire à leurs représentants.
Et en Europe ? Et en France ?
Il n’y a pas qu’aux Etats-Unis que le débat sur cette question est houleux. L’Europe aussi planche sur le sujet, mais la Commission européenne et le Parlement ne sont, comme souvent, pas sur la même longueur d’ondes. Sous l’impulsion de Neelie Kroes, commissaire européenne en charge de la politique numérique jusqu’en novembre, la Commission s’est certes prononcée contre le blocage ou le bridage des flux par les opérateurs, mais souhaitait autoriser les accords commerciaux avec les fournisseurs de contenu. Le règlement sur le marché unique des télécoms, adopté en avril par les eurodéputés, encadre plus sévèrement ces «services spécialisés». Le texte est en attente au Conseil de l’UE.
En France, du côté de la secrétaire d’Etat au Numérique, on dit s’inscrire en priorité dans la stratégie numérique européenne, qu’on souhaite «ambitieuse», sans s’interdire de «reposer la question dans le cadre français» si le dossier n’avance pas, indique son entourage. Jusqu’ici, Axelle Lemaire ne s’est déclarée favorable à l’inscription de la neutralité du Net dans la loi française qu’«à titre personnel».
Par Amaelle Guiton
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