Saturday, March 10, 2012

La responsabilité sociale des entreprises et la tradition de la doctrine sociale de l’Eglise


Le récent rapport de la Commission européenne sur la Responsabilité Sociale des Entreprises entre en résonnance avec les postulats novateurs de Caritas in Veritate.


unknownPour l’identité chrétienne dans le monde moderne, l’émergence d’une doctrine sociale chrétienne a été d’une importance cruciale. Si l’on veut se remémorer son caractère novateur, largement oublié aujourd’hui, il suffit de jeter un coup d’œil à la première encyclique pontificale Rerum Novarum du pape Léon XIII en 1891 ou même à ses réminiscences dans la seconde encyclique sociale Quadragesimo Anno, publiée en 1931. L’industrialisation a été la transformation socioéconomique la plus radicale de l’histoire de l’humanité. Des philosophes comme Nietzsche et Marx ont alors remis en cause le rôle des valeurs chrétiennes d’une façon sans précédent. Dans cette situation, le mouvement social chrétien a essentiellement élargi l’éthique chrétienne, en la faisant passer d’une simple vertu individuelle à une "doctrine sociale", demandant une réglementation adéquate au sein d’un ordre social "juste".


D’une certaine façon, nous vivons aujourd’hui une situation fort similaire. Avec la mondialisation et l’émergence de la "constellation post-nationale" (J. Habermas), les exemples culturels et les solutions institutionnelles du 20ème siècle sont de nouveau sur la sellette. Les chrétiens d’aujourd’hui feront-ils preuve de la même créativité culturelle et apprendront-ils à exprimer la tradition chrétienne occidentale sur un mode actualisé ? La récente encyclique sociale du pape Benoît XVI (2009) nous pousse dans cette direction. Caritas in Veritate critique le dualisme idéologique très répandu entre le marché et l’Etat et lance un appel à mettre en place une nouvelle culture de la responsabilité civique. Le document s’adresse donc aussi aux chefs d’entreprise, aux consommateurs et aux investisseurs. Comme au 19ème siècle, lorsque des entrepreneurs comme le Français Léon Harmel ou l’Allemand Franz Brandts ont joué un rôle important dans l’émergence de la doctrine sociale de l’Eglise catholique, les pratiques commerciales seront de nouveau tout à fait cruciales.


Le récent rapport de la Commission européenne sur la Responsabilité Sociale des Entreprises entre en résonnance avec les postulats novateurs de Caritas in Veritate. Ce n’est pas le premier rapport de la Commission en la matière ; ce texte s’inscrit dans une liste de documents à caractère pionnier datant de 2001 comme de 2006. Ces rapports – de même qu’une série d’activités internationales, notamment la Fondation du Pacte Mondial 1999/2000 ou la proclamation des Objectifs de Développement du Millénaire – reposent sur l’hypothèse selon laquelle les gouvernements ne seront pas en mesure de garantir à eux seuls les biens publics de base à l’échelle mondiale. En s’appuyant sur des documents scientifiques récents, la Commission plaide en faveur d’un concept sophistiqué de responsabilité sociale des entreprises : ce concept serait non seulement orienté vers des économies opérationnelles mais demanderait aussi une "mise en œuvre stratégique" grâce à la conception de produits, de services et de modèles d’entreprise innovants créant des valeurs pour les consommateurs, les employés et les actionnaires. La réflexion sur les coopératives et les mutuelles semble constituer ici une allusion explicite à Caritas in Veritate. C’est également vrai pour les éléments du texte qui se fondent sur une structure subsidiaire, considérant que la tâche principale des entités politiques ne consiste pas à se substituer ou à dominer mais à soutenir et à encourager la responsabilité sociale des entreprises. Selon le rapport de la Commission, ce n’est pas le gouvernement mais les entreprises ainsi que les syndicats et les organisations de la société civile qui auront à trouver de nouveaux chemins de dialogue en matière de responsabilité sociale ; les consommateurs et les investisseurs sont appelés à rendre ces activités gratifiantes et les médias à en rendre compte.


Ce qui devient évident à ce stade, c’est une conception réellement innovante du tissu social moderne. De bien des façons, ceci peut être considéré comme la continuation de la doctrine sociale de l’Eglise, qui a eu un impact sur les économies de marché occidentales du 20ème siècle. La Commission européenne annonce la mise en place d’une série d’instruments et de procédures visant à accroître la sensibilisation et renforcer le rôle de la responsabilité sociale dans les interactions entre les acteurs sociaux et les groupes : forums plurilatéraux, code de bonne conduite se rapportant à des systèmes d’autorégulation et de corégulation, intégration de critères sociaux et environnementaux dans les marchés publics, obligation faite aux banques de donner des informations sur leurs critères sociaux et écologiques, etc. La transparence de l’information, le développement de compétences dans les entreprises et l’environnement social ainsi que les plates-formes et la documentation distribuée sont les instruments les plus importants dont dispose la Commission pour répandre la bonne parole en matière de responsabilité sociale des entreprises. Les associations et les dirigeants chrétiens – comme l’Association mondiale d’entrepreneurs UNIAPAC, qui a publié son propre texte en matière de responsabilité sociale des entreprises il y a quelques années déjà, ou encore le Conseil Pontifical "Justice et Paix", etc. – devraient observer activement ce processus en y intégrant une véritable perspective chrétienne.



Prof. Dr. André Habisch

Conseiller scientifique au sein du Bund Katholischer Unternehmer en Allemagne ; enseigne l’éthique commericale à l’Université catholique d’Eichstaett-Ingolstadt, Allemagne

Version originale de l’article: anglais




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