La destruction de Jérusalem
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C’était au temps de la Pâque. De tous les pays environnants, les enfants de Jacob étaient accourus dans la ville sainte pour participer à leur grande fête nationale. Du haut de la colline des Oliviers, Jésus contemplait Jérusalem. C’était une scène de paix et de beauté. Entourés de vignes, de jardins et de gradins verdoyants qu’émaillaient les tentes des pèlerins, s’élevaient en terrasses les palais somptueux et les imposants remparts de la capitale d’Israël. La fille de Sion semblait dire, dans son orgueil : " Je suis assise comme une reine, je ne verrai point de deuil. " Elle était alors aussi belle, et elle se croyait aussi sûre de la faveur divine qu’à l’époque où le barde royal chantait : " Belle est la colline, joie de toute la terre, …la ville du grand roi. " (Psaume 48 : 3.) En face, se dressaient les magnifiques constructions du temple. Sous les rayons du soleil couchant éclairant la blancheur neigeuse de ses murailles de marbre, rutilaient les ors des tours, des portes et des créneaux. " Parfaite en beauté " , elle était l’orgueil de la nation juive. Aucun fils d’Israël ne pouvait regarder ce tableau sans un frisson de joie et d’admiration.
Mais d’autres pensées troublaient le cœur du Maître. " Comme il approchait de la ville, Jésus, en la vouant, pleura sur elle. " (Luc 19 : 41.) Au milieu de la joie universelle de son entrée triomphale, tandis que s’agitent autour de lui des branches de palmier, que de joyeux hosannas réveillent les échos des montagnes et que des milliers de voix le proclament roi, le Sauveur est soudain envahi d’une douleur mystérieuse. Fils de Dieu, espérance d’Israël, vainqueur de la mort et du tombeau, il est saisi, non par un chagrin passager, mais par une douleur si intense que son visage est inondé de larmes.
Jésus ne pleurait pas sur lui-même, bien qu’il sût parfaitement où sa carrière devait aboutir. Il voyait devant lui Gethsémané, le lieu de sa prochaine agonie ; plus loin était la porte des brebis par laquelle, des siècles durant, des milliers de victimes avaient été menées au sacrifice, et qui allait bientôt s’ouvrir pour lui, antitype de " l’agneau qu’on mène à la boucherie " . (Esaïe 53 : 7.) A peu de distance, on distinguait le Calvaire, futur théâtre de la crucifixion. Sur le sentier de l’immolation expiatoire que Jésus allait bientôt fouler, un suaire d’effroyables ténèbres l’attendait. Et pourtant, ce n’est pas cette sombre vision qui le navre à cette heure de joie universelle. Aucun pressentiment de l’angoisse surhumaine qui l’attend ne vient jeter son ombre sur son esprit dépourvu d’égoïsme. Jésus pleure sur le sort inexorable de Jérusalem ; il pleure sur l’aveuglement et l’impénitence de ceux qu’il est venu sauver. (Voir Luc19 : 41, 42.)
Plus de mille ans d’histoire se déroulaient devant le Sauveur. La faveur et la sollicitude divines dont le peuple élu avait été l’objet repassaient devant ses yeux. Là, sur la colline de Morija, le jeune Isaac, victime volontaire, emblème des souffrances du Fils de Dieu, s’était laissé lier sur l’autel. (Voir Genèse 22 : 9.) Là aussi, " l’alliance " , la glorieuse promesse messianique, avait été confirmée au père des croyants. (Voir Genèse 22 : 16-18.) Là encore, la fumée du sacrifice offert par David sur l’aire d’Ornan, le Jébusien, avait détourné l’épée de l’ange destructeur. (Voir 1 Chroniques 21.) Plus que tout autre lieu sur la terre, Jérusalem avait été honorée d’en haut. L’Eternel avait " choisi Sion " , il l’avait " désirée " pour son séjour. (Psaume 132 : 13.) Des siècles durant, les prophètes y avaient fait entendre leurs avertissements. Les sacrificateurs y avaient agité leurs encensoirs, et les nuages de l’encens étaient montés devant Dieu avec les prières des adorateurs. Chaque jour, le sang des agneaux figurant l’agneau de Dieu y avait été versé. Jéhovah avait manifesté sa puissance dans la nuée éclatante au-dessus du propitiatoire. Là, enfin, l’échelle mystique unissant le ciel et la terre (Genèse 28 : 12 ; Jean 1 : 51), et sur laquelle les anges de Dieu montaient et descendaient, avait ouvert aux hommes l’accès au lieu très saint. Si Israël était resté fidèle à son Dieu, Jérusalem eût subsisté à toujours. (Jérémie 17 : 24, 25.) Mais l’histoire de ce peuple favorisé entre tous n’avait été qu’une longue série d’infidélités et d’apostasies. Il avait résisté à la grâce céleste, méconnu et méprisé ses privilèges.
Quoique Israël se fût " moqué des envoyés de Dieu " , qu’il eût " méprisé ses paroles " et se fût " raillé de ses prophètes " , Jéhovah ne s’en était pas moins manifesté à lui comme un " Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité " . (Exode 34 : 6.) Maintes fois repoussée, la miséricorde continuait à faire entendre ses appels. Dans un amour plus tendre que celui d’un père pour le fils qu’il chérit, le Dieu de leurs pères avait donné de bonne heure à ses envoyés la mission d’avertir son peuple qu’il voulait épargner. (2 Chroniques 36 : 15, 16.) Les appels, les supplications et les réprimandes ayant échoué, il leur avait envoyé ce qu’il avait de plus précieux au ciel ; que dis-je ? il leur avait donné le ciel tout entier dans ce seul don !
C’est lui qui avait transplanté d’Egypte en Canaan la vigne d’Israël. (Psaume 80 : 9.) dont sa main avait écarté les nations. Il l’avait entourée d’une haie. " Qu’y avait-il encore à faire à ma vigne que je n’aie pas fait pour elle ? " (Esaïe 5 : 1-4), s’écrie-t-il. Alors qu’elle avait produit seulement des grappes sauvages quand il en attendait des raisins, il était venu à elle en personne, espérant encore la sauver de la destruction. Infatigablement, il l’avait labourée, taillée, chérie.
Trois années durant, le Dieu de gloire avait vécu parmi son peuple, " allant de lieu en lieu faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous l’empire du diable " (Actes 10 : 38 ; Luc 4 : 18 ; Matthieu 11 : 5), pansant les cœurs meurtris, mettant en liberté les captifs, rendant la vue aux aveugles, guérissant les boiteux, purifiant les lépreux, ressuscitant les morts et annonçant la bonne nouvelle aux pauvres. A tous, sans distinction de classe, il avait adressé ce tendre appel : " Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. " (Matthieu 11 : 28.)
Bien qu’on lui eût rendu le mal pour le bien, la haine pour sa bonté (Psaume 109 : 5), il n’en avait pas moins persévéré dans sa mission d’amour. Il n’avait repoussé aucun de ceux ui recherchaient sa grâce. Errant et sans abri, repoussé et méconnu, il avait vécu pour soulager la souffrance, suppliant les hommes d’accepter le don de la vie. Les vagues de la miséricorde, repoussées par des cœurs obstinés, refluaient en ondes d’amour inexprimable. Mais Israël s’était détourné de son meilleur Ami et de son unique Libérateur. Il avait dédaigné ses supplications, méprisé ses conseils et tourné en dérision ses avertissements.
L’heure de la grâce et du pardon s’envolait rapidement ; la coupe de la colère de Dieu, si longtemps différée, était presque pleine. Les sombres nuages que des siècles d’apostasie et de révolte avaient accumulés, alors gros de menaces, allaient éclater sur la nation coupable. Israël rejetait celui qui seul pouvait le sauver de la ruine imminente et se préparait à le crucifier. Quand le Sauveur sera suspendu au bois, les jours de ce peuple favorisé de Dieu seront révolus. La perte d’une âme est une calamité qui éclipse tous les gains et les trésors du monde. En contemplant Jérusalem, le Sauveur voit la perte d’une ville, d’une nation tout entière ; et quelle ville, quelle nation ! Celle qui a été l’élue de Dieu, son trésor particulier !
Les prophètes s’étaient lamentés sur l’apostasie d’Israël et sur les terribles calamités que ses péchés lui préparaient. Jérémie avait souhaité que ses yeux fussent changés en " une source de larmes pour pleurer nuit et jour les morts de la fille de son peuple " , ainsi que le " troupeau de l’Eternel " , emmené en captivité. (Jérémie 9 : 1 ; 13 : 1.) Aussi quel devait être le chagrin de celui dont le regard prophétique — embrassant non seulement les années, mais les siècles — contemplait l’épée de l’ange destructeur dégainée contre une ville qui avait été si longtemps la demeure de Jéhovah !
Du haut de la colline des Oliviers, du lieu même que devaient occuper plus tard les armées de Titus, Jésus, les yeux voilés de larmes, regarde, à travers la vallée, les portiques sacrés du temple. Une vision terrifiante s’offre à ses yeux : il voit une armée étrangére entourant la muraille de Jérusalem ; il perçoit le bruit sourd des légions en marche ; il entend monter, de la ville assiégée, les lamentations des femmes et des enfants demandant du pain ; il assiste à l’incendie de la sainte demeure, de ses palais et de ses tours, bientôt transformés en monceaux de ruines fumantes. Franchissant les siècles, son regard voit le peuple de l’alliance dispersé en tous pays comme des épaves sur un rivage désolé. Mais dans les châtiments prêts à fondre sur Jérusalem, il n’aperçoit que les premières gouttes de la coupe amère qu’elle devra, au jugement final, vider jusqu’à la lie. Aussi la compassion divine éclate-t-elle en cette esclamation douloureuse :
" Si toi aussi, au moins en ce jour qui t’est donné, tu connaissais les choses qui appartiennent à ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeus. Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront, et te serreront de toutes parts ; ils te détruiront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée… Jérusalem, Jérusalem qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! " (Luc 19 : 41-44 ; Matthieu 23 : 37.) O nation favorisée entre toutes, que n’as-tu connu le temps où tu as été visitée ! J’ai retenu le bras de l’ange de la justice ; je t’ai appelée à la repentance, mais en vain. Ce ne sont pas seulement des serviteurs, des envoyés, des prophètes que tu as repoussés, rejetés, c’est le Saint d’Israël, ton Rédempteur. Si tu péris, toi seule en seras responsable. " Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ! " (Jean 5 : 40.)
C’étaient aussi les malheurs de toute la famille d’Adam qui arrachaient au Sauveur ce cri amer. En Jérusalem, Jésus voyait le symbole d’un monde endurci, incrédule, rebelle, se précipitant au-devant des jugements de Dieu. Il lisait l’histoire du péché et de la souffrance humaine, écrite dans les larmes et le sang. Emu d’une compassion infinie pour les affligés et les malheureux, il aurait voulu les en préserver tous. Mais comment pouvait-il arrêter le flot des calamités déferlant sur le monde quand, alors qu’il était prêt à se livrer à la mort pour les sauver, si peu d’âmes cherchaient en lui leur unique secours ?
La Majesté du ciel en larmes ! le Fils du Dieu infini courbé par la douleur et secoué par d’amers sanglots ! Ce spectacle, qui provoqua dans le ciel un saisissement général, nous révèle la nature odieuse du péché : il nous montre combien est difiicile, même pour le Tout-Puissant, la tâche d’arracher le coupable à la pénalité de la loi divine. Promenant son regard à travers les siècles jusqu’à la dernière génération, Jésus voyait le monde plongé dans un égarement analogue à celui qui causa la ruine de Jérusalem. Le grand péché des Juifs a été la réjection du Christ ; le grand péché du monde chrétien consistera à repousser la loi de Dieu, base de son gouvernement dans le ciel et sur la terre, et à fouler aux pieds ses préceptes. Alors, des millions d’esclaves du péché et de Satan seront condamnés à la seconde mort, pour avoir, dans un aveuglement inconcevable, méconnu le jour de leur visitation !
Deux jours avant la Pâque, après avoir dénoncé l’hypocrisie des pharisiens, Jésus, sortant du temple pour la dernière fois, se retira de nouveau avec ses disciples sur le mont des Oliviers. Assis avec eux sur les pentes herbeuses dominant la cité, il contemplait une fois encore ses murailles, ses tours, ses palais. Une fois encore, il voyait l’éclatante splendeur du temple couronnant, tel un diadème, la colline sacrée.
Mille ans auparavant, le psalmiste avait célébré la faveur que Dieu avait accordée à Israël en élisant domicile dans sa sainte demeure : " Sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion." " Il préféra la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il aimait. Et il bâtit son sanctuaire comme les lieux élevés. " (Psaumes 76 : 3 ; 78 : 68, 69.) Le premier temple avait été construit au cours de la période la plus prospère de l’histoire d’Israël. David avait réuni d’immenses trésors à son intention. Dieu en avait inspiré les plans (1chroniques 28 : 12, 19) ; Salomon, le plus sage des rois d’Israël, avait présidé à son érection. Ce temple était l’édifice le plus magnifique que le monde ait jamais vu. Et pourtant, parlant du second temple, par le prophète Aggée, Dieu avait fait cette déclaration : " La gloire de cette dernière maison sera plus grande que celle de la première. " Je ferai trembler toutes les nations et le désir de toutes les nations arrivera, et je remplirai cette maison de gloire, dit l’Eternel des armées. " (Aggée 2 : 9, 7 ; version de Lausanne.)
Détruit par Nebucadnetsar, le temple de Salomon avait été reconstruit quelque cinq cents ans avant Jésus-Christ, après une captivité qui avait duré une vie d’homme. Le peuple était rentré dans un pays dévasté et presque désert. Les vieillards qui avaient vu la gloire du temple de Salomon pleurèrent à la vue des fondations du second temple si inférieures à celles du premier. Le sentiment général était rendu par ces paroles du prophète : " Quel est parmi vous le survivant qui ait vu cette maison dans sa gloire première ? Et comment la voyez-vous maintenant ? Telle quelle est, ne paraît-elle pas comme rien à vos yeux ? " (Aggée 2 : 3 ; Esdras 3 : 12.) Puis il énonçait la promesse selon laquelle la gloire de ce temple serait plus grande encore que celle du premier.
En effet, le second temple n’avait pas égalé le premier en magnificence. Il n’avait pas été consacré, comme le premier, par les signes visibles de la présence divine. Son inauguration n’avait été marquée d’aucune manifestation surnaturelle. Aucune nuée de gloire n’avait envahi le nouveau sanctuaire. Le feu du ciel n’était pas descendu sur l’autel pour consumer le sacrifice. La shékinah n’avait plus résidé entre les chérubins du lieu très saint ; l’arche, le propitiatoire et les tables du témoignage avaient disparu, et aucune voix céleste ne répondait plus aux sacrificateurs qui consultaient Dieu.
Durant des siècles, les Juifs s’étaient vainement efforcés de démontrer comment la promesse de Dieu, faite par le prophète Aggée, s’était réalisée. L’orgueil et l’incrédulité les aveuglaient sur le sens véritable des paroles du voyant. Ce qui honora le second temple, ce ne fut pas la nuée glorieuse de Jéhovah, mais la présence personnelle de celui en qui habitait corporellement toute la plénitude de la divinité, c’était Dieu manifesté en chair. C’est quand le Nazaréen avait enseigné et guéri dans ses parvis sacrés, que le " désir de toutes les nations était entré dans son temple " . C’est par la présence de Jésus et par cette présence seule que la gloire du second temple surpassa celle du premier. Mais Israël avait dédaigné le don du ciel, et, quand l’humble docteur avait franchi le seuil de la porte d’or ce jour-là, la gloire avait abandonné le temple à tout jamais. Déjà ces paroles du Sauveur s’étaient accomplies : " Voici, votre maison vous sera laissée déserte. " (Matthieu 23 : 38.)
Effarés et consternés à l’ouïe des prédictions du Sauveur touchant la destruction du temple, les disciples voulurent comprendre plus parfaitement le sens de ses paroles. Pendant quarante ans, les travaux, l’argent, le génie des architectes, rien n’avait été épargné pour rendre cet édifice à sa splendeur première. Hérode le Grand y avait consacré les richesses des Romains et celles de la Judée ; l’empereur lui-même l’avait comblé de ses dons. Des blocs de marbre blanc de dimensions presque fabuleuses, envoyés de Rome, faisaient partie de ses murailles. C’est sur ces puissantes structures que les disciples — réunis autour du Maître — appelèrent son attention en ces termes : " Maître, regarde, quelles pierres, et quelles constructions ! " (Marc 13 : 1.) Jésus répondit par cette parole saisissante : " Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. " (Matthieu 24 : 2.)
Pour les disciples, la destruction de Jérusalem ne pouvait s’accomplir que lors de l’inauguration du règne universel, personnel et glorieux du Messie pour punir les Juifs impénitents et briser le joug des Romains. Et comme Jésus leur avait déclaré qu’il viendrait une seconde fois, leur pensée, à la mention de la ruine de Jérusalem, se reporta sur cette seconde venue. De là cette triple question qu’ils lui posèrent sur la colline des Oliviers : " Dis-nous, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ? " (Matthieu 24 : 3.)
Jésus leur donna une esquisse des événements les plus saillants qui devaient survenir, avant la fin des temps. Ces prédictions, qui ne furent pas alors pleinement comprises, étaient destinées à devenir de plus en plus intelligibles au peuple de Dieu à mesure que le besoin s’en ferait sentir. L’avenir était miséricordieusement voilé aux disciples. S’ils avaient alors nettement saisi la portée de ces deux événements sinistres : le supplice et la mort du Sauveur, ainsi que la destruction de Jérusalem et du temple, ils auraient été glacés d’horreur. Or, la prophétie du Maître avait un double sens : elle annonçait à la fois la destruction de Jérusalem et les terreurs du grand jour final.
Aux disciples attentifs, Jésus annonce les calamités qui vont fondre sur Israël apostat, en particulier parce qu’il rejette le Messie et qu’il se prépare à le crucifier. Des signes indiscutables devront annoncer cette catastrophe terrible et soudaine. Aussi le Sauveur donne-t-il â ses disciples cet avertissement : " C’est pourquoi, lorsque vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie en lieu saint — que celui qui lit fasse attention ! — alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes. " (Matthieu 24 : 15, 16 ; Luc 21 : 20, 21.) " Dès que les étendards des Romains se dresseront dans l’enceinte sacrée qui s’étend à quelque distance des murailles de la ville sainte, les chrétiens devront chercher leur salut dans la fuite. Aussitôt que les signes paraîtront, qu’on se trouve dans la Judée ou à Jérusalem, il faudra partir sans délai. Celui qui se trouvera au haut de la maison ne devra pas s’aviser d’y rentrer pour emporter ses objets de prix. Ceux qui travailleront dans les champs ou les vignes ne devront pas revenir sur leurs pas pour prendre le vêtement déposé durant la chaleur du jour. Ceux qui voudront échapper à la destruction générale n’auront pas un instant à perdre.
Sous le règne d’Hérode, Jérusalem avait été non seulement embellie, mais on y avait construit des murailles, des tours et des forteresses qui, jointes à sa situation exceptionnelle, l’avaient rendue apparemment imprenable. Celui qui, au temps du Christ, aurait publiquement annoncé sa ruine, aurait été pris, comme Noé, pour un alarmiste ou un détraqué. Or, Jésus avait dit : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. " (Mattieu 24 : 35.)
La colère de Dieu s’était enflammée contre Jérusalem à cause de ses péchés. Son incrédulité obstinée rendait sa perte inévitable. Par le prophète Michée le Seigneur avait Déclaré : " Ecoutez donc ceci, chefs de la maison de Jacob, et princes de la maison d’Israël, vous qui avez en horreur la justice, et qui pervertissez tout ce qui est droit, vous qui bâtissez Sion avec le sang, et Jérusalem avec l’iniquité ! Ses chefs jugent pour des présents, ses sacrificateurs enseignent pour un salaire, et ses prophètes prédisent pour de l’argent ; et ils osent s’appuyer sur l’Eternel, ils disent :l’Eternel n’est-il pas au milieu de nous ? Le malheur ne nous atteindra pas. " (Michée 3 : 9-11.)
Ces paroles décrivaient bien la cupidité et la propre justice des habitants de Jérusalem qui professaient s’attacher strictement à l’observation des préceptes de la loi de Dieu et en transgressaient tous les principes. Ces derniers haïssaient celui dont la pureté et la sainteté dévoilaient leurs projets criminels. Tout en reconnaissant son innocence, ils avaient déclaré sa mort nécessaire à la sécurité de la nation. " Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation." (Jean 11 : 48.) Ils pensaient, en supprimant le Sauveur, devenir un peuple fort et uni. Ils partageaient ainsi le sentiment du nouveau sacrificateur qui préférait qu’un seul homme mourût pour le peuple et que la nation entière ne pérît point.
Ainsi, les chefs de la nation juive " bâtissaient Sion avec le sang, et Jérusalem avec l’ iniquité " . Cependant, au moment où ils mettaient à mort le Sauveur parce qu’il leur révélait leurs péchés, ils se considéraient, dans leur propre justice, comme les favoris du ciel et comptaient que Dieu les délivrerait de leurs ennemis. " C’est pourquoi, à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de pierres, et la montagne du temple une sommité couverte de bois. " (Michée 3 : 12.)
La miséricorde de Dieu fut merveilleuse envers ceux qui méprisèrent son Evangile et mirent à mort son Fils. Pendant quarante ans, le Seigneur différa l’exécution des jugements prononcés sur la ville et sur la nation. La parabole du figuier stérile représente sa manière d’agir envers le peuple juif. Cet ordre avait été donné : " Coupe-le : pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? " (Luc 13 : 7.) Mais la bienveillance divine l’épargnait encore. Nombreux étaient, parmi les Juifs, ceux qui ignoraient la nature de l’œuvre du Sauveur. Les enfants n’avaient pas eu l’occasion de recevoir les enseignements que leurs parents avaient méprisés. Par l’intermédiaire des apôtres, Dieu fit luire sa lumière sur eux. Ils auraient pu se rendre compte de l’accomplissement des prophéties non seulement dans la naissance et la vie du Christ mais aussi dans sa mort et sa résurrection. Ils ne furent pas condamnés pour les péchés de leurs parents, mais parce que, après avoir eu connaissance des lumières confiées à ceux-ci, ils rejetèrent celle qui leur avait été communiquée. Ils avaient ainsi participé aux péchés de leurs parents et comblé la mesure de leur iniquité.
La longue patience de Dieu envers Jérusalem semblait confirmer les Juifs dans leur impénitence. Par leur haine et leur cruauté envers les disciples de Jésus, ils rejetèrent le dernier appel de la miséricorde. Aussi Dieu leur retira-t-il sa protection et les abandonna-t-il à Satan et à ses anges. La nation fut livrée entre les mains du chef qu’elle s’était choisi. Les Juifs avaient dédaigné la grâce de celui qui leur eût assuré la victoire sur les mauvais penchants qui étaient devenus leurs maîtres. Livrés à la violence de leurs passions, ils ne raisonnaient plus. Esclaves des emportements d’une fureur aveugle, ces malheureux se livraient à des actes d’une cruauté satanique. Dans la famille comme dans l’Etat, dans les classes élevées comme dans le bas peuple, on ne rencontrait que suspicion, envie, haine, discorde et assassinats. Il n’y avait de sécurité nulle part. Amis et intimes se trahissaient mutuellement. Les parents tuaient leurs enfants, et les enfants tuaient leurs parents. Les chefs n’avaient aucun empire sur eux-mêmes. Leurs passions indomptées en faisaient des tyrans. Les Juifs avaient accepté de faux témoignages contre le Fils de Dieu, et maintenant leur vie était constamment menacée par des délateurs. Depuis longtemps, ils avaient dit par leurs actes : " Eloignez de notre présence le Saint d’Israël. " (Esaïe 30 : 11.) Leur vœu était accompli. La crainte de Dieu ne les retenait plus. Satan, maître des autorités civiles et religieuses, était à la tête de la nation.
Parfois, les chefs des factions ennemies s’entendaient pour piller et torturer leurs malheureuses victimes, puis ils en venaient aux mains et s’entr’égorgeaient sans miséricorde. La sainteté même du temple ne mettait aucun frein à leur férocité. Les adorateurs étaient mis à mort devant l’autel, et le sanctuaire était souillé de cadavres. Néanmoins, dans leur présomption aveugle et blasphématoire, les instigateurs de cette œuvre infernale déclaraient hautement qu’ils étaient sans inquiétude sur le sort de Jérusalem, puisqu’elle était la ville de Dieu. Pour affermir leur autorité, ils subornèrent de faux prophètes qui, au moment même où les légions romaines assiégeaient le temple, proclamèrent que la délivrance divine était imminente. Jusqu’à la fin, la foule demeura convaincue que Dieu interviendrait, pour confondre les Romains. Mais Israël avait méprisé la protection du ciel et se trouvait maintenant sans défense. Malheureuse Jérusalem ! Déchirée par les factions, elle voyait ses rues arrosées du sang de ses enfants massacrés par ses propres mains, tandis que des armées ennemies abattaient ses fortifications et décimaient ses hommes de guerre !
Toutes les prédictions de Jésus relatives à la ruine de Jérusalem s’accomplissaient à la lettre. Les Juifs voyaient se réaliser cet avertissement : " On vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. " (Matthieu 7 : 2.)
Des signes et des miracles, présages du désastre, apparurent.. Au milieu de la nuit, une lumière surnaturelle brilla sur le temple et sur l’autel. Au coucher du soleil, on vit dans les nuages des chariots et des hommes de guerre prêts pour la bataille. Des sacrificateurs qui officiaient de nuit dans le sanctuaire furent terrifiés par des bruits mystérieux. Le sol trembla, et on entendit de nombreuses voix qui disaient : " Partons d’ici. " A minuit, la porte orientale, si lourde que vingt hommes pouvaient à peine la faire tourner sur ses gonds, et fermée par de puissantes barres solidement fixées dans des pierres massives, s’ouvrit d’elle-même. (Milman, History of the Jews, liv. XIII.)
Sept années durant, on entendit un homme annoncer dans les rues de Jérusalem les malheurs qui allaient fondre sur la ville. Jour et nuit, on l’entendait répéter : " Voix du côté de l’Orient ; voix du côté de l’Occident ; voix du côté des quatre vents ; voix contre Jérusalem et contre le temple ; vois contre les époux et les épouses ; voix contre le peuple ! " Cet être étrange fut emprisonné et battu de verges ; mais jamais une plainte ne s’échappa de ses lèvres. Sa seule réponse aux injures et aux mauvais traitements était : " Malheur, malheur à Jérusalem ! Malheur, malheur à ses habitants ! " Il ne cessa de faire entendre ses avertissements que lorsqu’il fut tué au cours du siège qu’il avait annoncé.
Aucun chrétien ne périt dans la ruine de Jérusalem. Les disciples qui avaient été avertis furent attentifs au signe promis : " Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées " , avait dit Jésus, " sachez alors que sa désolation est proche. Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, que ceux qui seront au milieu de Jérusalem en sortent, et que ceux qui seront dans les champs n’entrent pas dans la ville. " (Luc 21 : 20, 21.)
Une armée romaine, placée sous la conduite de Cestius Gallus, avait investi Jérusalem. A peine arrivée, alors que tout semblait favoriser une attaque immédiate, elle levait le siège. Les assiégés, désespérant du succès, parlaient déjà de se rendre, quand le général romain battit en retraite sans la moindre raison apparente. Dieu, dans sa miséricorde, dirigeait les événements pour le bien de son peuple. Le signe promis avait paru, et l’occasion était donnée aux chrétiens sur le qui-vive et à tous ceux qui le voulaient d’obéir à l’ordre du Seigneur. Les choses tournèrent de telle façon que ni les Juifs, ni les Romains ne s’opposèrent à leur fuite. Voyant que l’armée se retirait, les Juifs, sortant hors des murs de Jérusalem, se précipitèrent à sa poursuite, ce qui donna aux chrétiens l’occasion de quitter la ville. La campagne, également, était en ce moment-là débarrassée des ennemis qui auraient pu leur barrer la route, tandis que les Juifs se trouvaient enfermés dans la ville à l’occasion de la fête des Tabernacles. Les chrétiens purent donc s’enfuir sans être molestés. Ils se réfugièrent en Pérée, au-delà du Jourdain, dans la ville de Pella.
Les forces juives qui s’étaient jetées à la poursuite de Cestius attaquèrent son arrière-garde avec tant d’impétuosité qu’elle fut menacée d’une complète destruction ; elles rentrèrent triomphalement à Jérusalem, chargées de butin et n’ayant essuyé que des pertes légères. Mais cet apparent succès les servit mal. Il leur inspira un esprit de résistance obstiné qui, lorsque Titus en reprit le siège, attira sur la ville des maux indescriptibles.
Jérusalem avait été investie durant la Pâque, alors qu’une multitude de Juifs se trouvaient dans ses murs. Distribuées avec sagesse, les provisions auraient pu suffire des années durant. Elles furent détruites par les factions rivales des défenseurs, et bientôt les habitants se trouvèrent réduits à une horrible famine. Plusieurs rongeaient le cuir de leur ceinture, de leurs sandales et de leur bouclier. Une mesure de blé se vendait un talent. Nombre de gens se glissaient, la nuit, hors des murailles pour aller chercher quelques plantes sauvages à manger. Les uns étaient capturés et livrés à la torture, tandis que ceux qui réussissaient à rentrer dans la ville étaiént souvent dépouillés des provisions qu’ils avaient si chèrement obtenues. Les chefs infligeaient les traitements les plus inhumains aux personnes qu’ils soupçonnaient de détenir quelque aliment. Souvent, bien nourris eux-mêmes, ils visaient à se faire des réserves pour l’avenir. Des milliers périssaient par la famine et par la peste.
Les affections naturelles semblaient éteintes. Des maris volaient leurs femmes, et des femmes leurs maris. Des enfants arrachaient la nourriture de la bouche de leurs vieux parents. La question du prophète : " Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? " (Esaïe 49 : 15) reçut cette réponse dans l’enceinte de cette ville perdue : " Les femmes, malgré leur tendresse, font cuire leurs enfants ; ils leur servent de nourriture, au milieu du désastre de la fille de mon peuple. " (Lamentations de Jérémie 4 : 10.) Alors s’accomplit également la prédiction faite quatorze siècles auparavant : " La femme d’entre vous la plus délicate et la plus habituée à la mollesse, qui par mollesse et par délicatesse n’essayait pas de poser à terre la plante de son pied, aura un œil sans pitié pour le mari qui repose sur son sein, pour son fils et pour sa fille ; elle ne leur donnera rien…des enfants qu’elle mettra au monde, car, manquant de tout, elle en fera secrètement sa nourriture au milieu de l’angoisse et de la détresse où te réduira ton ennemi dans tes portes. " (Deutéronome 28 : 56, 57.)
Pour forcer les Juifs à se rendre, les Romains tentèrent de les terroriser. Les prisonniers qui résistaient au moment de leur capture étaient battus de verges, torturés et crulifiés sous les murs de la ville. Il en périssait ainsi journellement des centaines, au point que, dans la vallée de Josaphat et sur le Calvaire, les croix furent bientôt si nombreuses qu’on pouvait à peine passer entre elles. Ainsi se réalisait la terrible imprécation prononcée par les Juifs devant le tribunal de Pilate : " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! " (Matthieu 27 : 25.)
Titus, rempli d’horreur à la vue des monceaux de cadavres qui encombraient les vallées, eût été heureux de mettre un terme à ces scènes abominables et d’épargner à Jérusalem une partie de ses maux.. Saisi d’admiration à la vue du temple qu’il contemplait du haut de la colline des Oliviers, il défendit à ses soldats de porter la main sur cette merveille. Avant de tenter l’assaut de la forteresse, il supplia les chefs des Juifs de ne pas le contraindre à souiller de sang le sanctuaire et promit que s’ils consentaient à aller combattre ailleurs, aucun soldat romain ne profanerait le temple.
Dans un appel éloquent, Josèphe, leur compatriote, les supplia de se rendre et d’assurer ainsi leur salut et celui du lieu sacré. A ce dernier médiateur humain, les Juifs répondirent par des imprécations et des quolibets. Ils avaient fermé l’oreille à la voix du Fils de Dieu ; maintenant, toutes les supplications ne faisaient que les rendre plus obstinés à résister jusqu’au bout. Titus ne réussit pas à sauver le temple. Un plus grand que lui avait déclaré qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre.
L’aveugle obstination des chefs juifs et les crimes affreux perpétrés dans la ville assiégée excitèrent à tel point l’horreur et l’indignation des soldats romains que Titus finit par se décider à prendre le temple d’assaut, résolu toutefois à le conserver s’il était possible. Mais ses ordres furent négligés. Un soir, à peine s’était-il retiré dans sa tente que les Juifs, sortant du temple, attaquèrent les assaillants. Dans la chaleur du combat, un soldat jeta un brandon allumé à travers le portique. Bientôt, les salles boisées de cèdre qui entouraient le temple furent la proie des flammes. Accourant en hâte sur les lieux avec ses légionnaires,Titus donna l’ordre de combattre l’incendie. Il ne fut pas obéi. Dans leur rage, les soldats passèrent au fil de l’épée un grand nombre de ceux qui s’étaient réfugiés dans le lieu sacré. Le sang coulait comme de l’eau sur les marches du temple. Des milliers de Juifs périrent. Le bruit de la bataille était dominé par des voix qui disaient : " I-Kabod ! " c’est-à-dire : la gloire s’en est allée.
" Titus, n’avait pas réussi à apaiser la fureur de la soldatesque. Pénétrant avec ses officiers dans l’intérieur de l’édifice sacré, il fut émerveillé de sa splendeur ; et comme les flammes n’avaient pas encore atteint le lieu saint, tentant un dernier effort pour le sauver, il conjura ses soldats de combattre les progrès de l’incendie. Armé de son bâton de commandement, le centenier Liberalis s’efforça d’imposer l’obéissance. Mais la présence même du général en chef ne parvint pas à arrêter la rage des Romains contre les Juifs ; rien ne put faire entendre raison à des hommes aveuglés par le carnage et alléchés par l’appât du pillage. Voyant, l’or étinceler de toutes parts, à la lumière sinistre des flammes, les soldats s’imaginèrent que des trésors incalculables se trouvaient cachés dans le sanctuaire. Aveuglés par la fumée et les flammes, les officiers durent battre en retraite et abandonner le noble édifice à son sort.
" Spectacle terrifiant pour les Romains, mais combien plus pour les Juifs ! Toute la crête de la colline qui dominait la ville flamboyait comme un volcan. Avec le fracas du tonnerre, les bâtiments, l’un après l’autre, s’effondraient dans un brasier dévorant. Les toits de cèdre ressemblaient à des nappes de flammes. Les pinacles dorés jetaient des reflets embrasés. Des tours s’élevaient des colonnes de fumée et de flammes dont la lueur éclairait les collines avoisinantes. Dans l’obscurité, des groupes d’assiégés, en proie à une angoisse mortelle, suivaient les progrès de l’incendie. Sur les murailles et les éminences de la haute ville, les assiégés, certains atterrés, d’autres exaspérés, se livraient au désespoir ou proféraient de vaines menaces. Les cris des soldats romains et les hurlements des insurgés périssant dans les flammes se mêlaient au crépitement de l’incendie, et les échos de la montagne répercutaient les lamentations du peuple massé sur les hauteurs. Des gens à demi morts d’inanition rassemblaient ce qu’il leur restait de forces pour faire entendre une dernière clameur d’angoisse et de désolation.
" A l’intérieur se déroulait un spectacle plus terrifiant encore. Hommes et femmes, jeunes et vieux, insurgés et sacrificateurs, combattants et suppliants étaient massacrés sans miséricorde. Et comme le nombre des tués dépassait celui des égorgeurs, les légionnaires, poursuivant leur œuvre d’extermination, devaient escalader des monceaux de cadavres. " (Milman, History of the Jews, Liv. XVI.)
Le temple détruit, la ville ne tarda pas à tomber tout entière entre les mains des Romains. Les chefs juifs ayant délaissé leurs tours imprenables, Titus trouva celles-ci abandonnées. Après les avoir contemplées avec étonnement, il déclara que Dieu seul avait pu les lui livrer ; ses machines de guerre auraient été impuissantes contre elles. La ville et le temple furent rasés ; l’emplacement du saint lieu fut " labouré comme un champ. " (Jérémie 26 : 18.) Au cours du siège et du massacre, plus d’un million de Juifs avaient perdu la vie. Les survivants furent réduits en captivité, vendus comme esclaves, emmenés à Rome pour orner le triomphe du vainqueur, jetés aux bêtes féroces dans les arènes, ou dispersés dans toutes les parties de la terre.
En mettant le comble à leur endurcissement, les Juifs avaient forgé leurs propres chaînes. La destruction de leur nation et tous les maux qui suivirent leur dispersion ne furent que le fruit de leurs œuvres. Le prophète l’avait dit : " Ce qui cause ta ruine, Israël, c’est que tu as été contre moi " , " car tu es tombé par ton iniquité. " (Osée 13 : 9 ; 14 : 1.) Maints auteurs citent les souffrances du peuple juif comme l’accomplissement d’un décret divin. Par cette erreur, le grand séducteur s’efforce de masquer son œuvre. C’est à cause de leur mépris obstiné de la miséricorde et de l’amour divins que les Juifs s’étaient aliéné la protection du ciel et que Satan avait pu les dominer. Les cruautés inouïes dont ils se rendirent coupables durant le siège de Jérusalem démontrent la façon dont Satan traite ceux qui se soumettent à lui.
Nous comprenons peu combien nous sommes redevables au Seigneur de la paix et de la protection dont nous jouissons. C’est la puissance de Dieu qui préserve l’humanité de tomber entièrement entre les mains de Satan. Les désobéissants et les ingrats feraient bien de le remercier de la patience et de la miséricorde avec lesquelles il tient en échec la cruauté du Malin. C’est lorsqu’on dépasse les bornes de sa longanimité, qu’il retire sa protection. Ce n’est pas Dieu qui exécute la sentence qui suit la transgression. Il se borne à abandonner à eux-mêmes les contempteurs de sa grâce, qui récoltent alors la moisson de leurs semailles.Tout rayon de lumière rejeté, tout avertissement méprisé, toute mauvaise passion caressée, en un mot, toute transgression de la loi de Dieu est une semence qui porte sûrement ses fruits. L’Esprit de Dieu finit par abandonner le pécheur impénitent et le laisse désarmé devant ses propres passions, comme devant l’inimitié et la malignité de Satan. La destruction de Jérusalem est un avertissement solennel à l’adresse de tous ceux qui restent sourds aux offres de la grâce divine et qui résistent aux tendres appels de sa miséricorde. Jamais on ne vit témoignage plus décisif de la haine de Dieu pour le péché, et de la certitude du châtiment qui fondra un jour sur les coupables.
La prophétie du Seigneur touchant Jérusalem doit avoir un autre accomplissement dont ce néfaste événement n’est qu’une pâle image. Dans le triste sort de la cité élue, il faut lire ce qui arrivera à un monde qui a rejeté la miséricorde de Dieu et foulé aux pieds sa loi. Sombre est le tableau des souffrances dont notre terre a été le témoin au cours de ses longs siècles de crime. A contempler les conséquences de la réjection de l’autorité du ciel, le cœur se serre et l’esprit se trouble. Mais une scène plus lugubre encore est cachée dans l’avenir. La longue procession de tumultes, de conflits, de révolutions dont les annales du passé sont faites est peu de chose en regard des terreurs du jour de Dieu, jour où l’Esprit, renonçant à son rôle protecteur, abandonnera entièrement les pécheurs à l’explosion des passions et de la fureur humaine et diabolique. Alors, comme jamais auparavant, le monde contemplera les résultats du règne de Satan.
En ce jour-là, comme lors de la destruction de Jérusalem, le peuple de Dieu, " tous ceux qui se trouveront inscrits dans le livre " seront délivrés. Jésus l’a promis : Il reviendra pour prendre les siens avec lui. " Toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et une grande gloire. Il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre. " (Mattieu 24 : 30, 31.) Alors, " ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui n’obéissent pas à l’Evangile " seront " détruits par le souffle de sa bouche et anéantis par l’éclat de son avènement " . (2 Thessaloniciens 1 : 8 ; 2 : 8.) Comme l’ancien Israël, les méchants se détruisent eux-mêmes : ils sont victimes de leur iniquité. Une vie de péché les aura tellement éloignés de Dieu et dégradés que la manifestation de sa gloire sera pour eux " un feu consumant " .
Prenons garde de ne pas négliger l’enseignement contenu dans les paroles du Sauveur. De même que Jésus avertit ses disciples de la destruction de Jérusalem, et que, pour leur permettre d’y échapper, il leur en annonça les présages certains, il a aussi averti le monde de sa destruction. Il nous a donné des signes de l’approche de ce grand jour, afin que, tous ceux qui le veulent puissent échapper à la colère à venir. " Il y aura, dit Jésus, des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, il y aura de l’angoisse chez les nations qui ne sauront que faire, au bruit de la mer et des flots. " (Luc 21 : 25 ; Matthieu 24 : 29 ; Marc 13 : 24-26 ; Apocalypse 6 : 12-17.) Il a voulu que les témoins des signes avant-coureurs de sa venue, sachent qu’elle " est proche, à la porte " . (Matthieu 24 : 33.) " Veillez donc " (Marc 13 : 35) : telle est son exhortation. Ceux qui prennent garde à cet avertissement ne seront pas laissés dans les ténèbres pour que ce jour-là les prenne au dépourvu. Mais pour ceux qui ne veillent pas, " le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit " . (1 Thessaloniciens 5 : 2.)
Le monde aujourd’hui n’est pas mieux préparé à recevoir le message pour notre temps que les Juifs ne le furent à accueillir l’avertissement du Sauveur concernant Jérusalem. A quelque moment qu’il survienne, le jour du Seigneur prendra les méchants au dépourvu. La vie suivra son cours ordinaire ; les hommes seront absorbés par leurs affaires, par leur commerce et par l’amour de l’argent ; les conducteurs de la pensée religieuse exalteront les progrès et les lumières du siècle, et les masses seront bercées dans une fausse sécurité. Alors, tel un voleur, qui pénètre à minuit dans une demeure mal gardee, " une ruine soudaine " surprendra les inconscients et les impies, " et ils n’échapperont point. " (1 Thessaloniciens 5 : 2, 3.)
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C’était au temps de la Pâque. De tous les pays environnants, les enfants de Jacob étaient accourus dans la ville sainte pour participer à leur grande fête nationale. Du haut de la colline des Oliviers, Jésus contemplait Jérusalem. C’était une scène de paix et de beauté. Entourés de vignes, de jardins et de gradins verdoyants qu’émaillaient les tentes des pèlerins, s’élevaient en terrasses les palais somptueux et les imposants remparts de la capitale d’Israël. La fille de Sion semblait dire, dans son orgueil : " Je suis assise comme une reine, je ne verrai point de deuil. " Elle était alors aussi belle, et elle se croyait aussi sûre de la faveur divine qu’à l’époque où le barde royal chantait : " Belle est la colline, joie de toute la terre, …la ville du grand roi. " (Psaume 48 : 3.) En face, se dressaient les magnifiques constructions du temple. Sous les rayons du soleil couchant éclairant la blancheur neigeuse de ses murailles de marbre, rutilaient les ors des tours, des portes et des créneaux. " Parfaite en beauté " , elle était l’orgueil de la nation juive. Aucun fils d’Israël ne pouvait regarder ce tableau sans un frisson de joie et d’admiration.
Mais d’autres pensées troublaient le cœur du Maître. " Comme il approchait de la ville, Jésus, en la vouant, pleura sur elle. " (Luc 19 : 41.) Au milieu de la joie universelle de son entrée triomphale, tandis que s’agitent autour de lui des branches de palmier, que de joyeux hosannas réveillent les échos des montagnes et que des milliers de voix le proclament roi, le Sauveur est soudain envahi d’une douleur mystérieuse. Fils de Dieu, espérance d’Israël, vainqueur de la mort et du tombeau, il est saisi, non par un chagrin passager, mais par une douleur si intense que son visage est inondé de larmes.
Jésus ne pleurait pas sur lui-même, bien qu’il sût parfaitement où sa carrière devait aboutir. Il voyait devant lui Gethsémané, le lieu de sa prochaine agonie ; plus loin était la porte des brebis par laquelle, des siècles durant, des milliers de victimes avaient été menées au sacrifice, et qui allait bientôt s’ouvrir pour lui, antitype de " l’agneau qu’on mène à la boucherie " . (Esaïe 53 : 7.) A peu de distance, on distinguait le Calvaire, futur théâtre de la crucifixion. Sur le sentier de l’immolation expiatoire que Jésus allait bientôt fouler, un suaire d’effroyables ténèbres l’attendait. Et pourtant, ce n’est pas cette sombre vision qui le navre à cette heure de joie universelle. Aucun pressentiment de l’angoisse surhumaine qui l’attend ne vient jeter son ombre sur son esprit dépourvu d’égoïsme. Jésus pleure sur le sort inexorable de Jérusalem ; il pleure sur l’aveuglement et l’impénitence de ceux qu’il est venu sauver. (Voir Luc19 : 41, 42.)
Plus de mille ans d’histoire se déroulaient devant le Sauveur. La faveur et la sollicitude divines dont le peuple élu avait été l’objet repassaient devant ses yeux. Là, sur la colline de Morija, le jeune Isaac, victime volontaire, emblème des souffrances du Fils de Dieu, s’était laissé lier sur l’autel. (Voir Genèse 22 : 9.) Là aussi, " l’alliance " , la glorieuse promesse messianique, avait été confirmée au père des croyants. (Voir Genèse 22 : 16-18.) Là encore, la fumée du sacrifice offert par David sur l’aire d’Ornan, le Jébusien, avait détourné l’épée de l’ange destructeur. (Voir 1 Chroniques 21.) Plus que tout autre lieu sur la terre, Jérusalem avait été honorée d’en haut. L’Eternel avait " choisi Sion " , il l’avait " désirée " pour son séjour. (Psaume 132 : 13.) Des siècles durant, les prophètes y avaient fait entendre leurs avertissements. Les sacrificateurs y avaient agité leurs encensoirs, et les nuages de l’encens étaient montés devant Dieu avec les prières des adorateurs. Chaque jour, le sang des agneaux figurant l’agneau de Dieu y avait été versé. Jéhovah avait manifesté sa puissance dans la nuée éclatante au-dessus du propitiatoire. Là, enfin, l’échelle mystique unissant le ciel et la terre (Genèse 28 : 12 ; Jean 1 : 51), et sur laquelle les anges de Dieu montaient et descendaient, avait ouvert aux hommes l’accès au lieu très saint. Si Israël était resté fidèle à son Dieu, Jérusalem eût subsisté à toujours. (Jérémie 17 : 24, 25.) Mais l’histoire de ce peuple favorisé entre tous n’avait été qu’une longue série d’infidélités et d’apostasies. Il avait résisté à la grâce céleste, méconnu et méprisé ses privilèges.
Quoique Israël se fût " moqué des envoyés de Dieu " , qu’il eût " méprisé ses paroles " et se fût " raillé de ses prophètes " , Jéhovah ne s’en était pas moins manifesté à lui comme un " Dieu miséricordieux et compatissant, lent à la colère, riche en bonté et en fidélité " . (Exode 34 : 6.) Maintes fois repoussée, la miséricorde continuait à faire entendre ses appels. Dans un amour plus tendre que celui d’un père pour le fils qu’il chérit, le Dieu de leurs pères avait donné de bonne heure à ses envoyés la mission d’avertir son peuple qu’il voulait épargner. (2 Chroniques 36 : 15, 16.) Les appels, les supplications et les réprimandes ayant échoué, il leur avait envoyé ce qu’il avait de plus précieux au ciel ; que dis-je ? il leur avait donné le ciel tout entier dans ce seul don !
C’est lui qui avait transplanté d’Egypte en Canaan la vigne d’Israël. (Psaume 80 : 9.) dont sa main avait écarté les nations. Il l’avait entourée d’une haie. " Qu’y avait-il encore à faire à ma vigne que je n’aie pas fait pour elle ? " (Esaïe 5 : 1-4), s’écrie-t-il. Alors qu’elle avait produit seulement des grappes sauvages quand il en attendait des raisins, il était venu à elle en personne, espérant encore la sauver de la destruction. Infatigablement, il l’avait labourée, taillée, chérie.
Trois années durant, le Dieu de gloire avait vécu parmi son peuple, " allant de lieu en lieu faisant du bien et guérissant tous ceux qui étaient sous l’empire du diable " (Actes 10 : 38 ; Luc 4 : 18 ; Matthieu 11 : 5), pansant les cœurs meurtris, mettant en liberté les captifs, rendant la vue aux aveugles, guérissant les boiteux, purifiant les lépreux, ressuscitant les morts et annonçant la bonne nouvelle aux pauvres. A tous, sans distinction de classe, il avait adressé ce tendre appel : " Venez à moi, vous tous qui êtes fatigués et chargés, et je vous donnerai du repos. " (Matthieu 11 : 28.)
Bien qu’on lui eût rendu le mal pour le bien, la haine pour sa bonté (Psaume 109 : 5), il n’en avait pas moins persévéré dans sa mission d’amour. Il n’avait repoussé aucun de ceux ui recherchaient sa grâce. Errant et sans abri, repoussé et méconnu, il avait vécu pour soulager la souffrance, suppliant les hommes d’accepter le don de la vie. Les vagues de la miséricorde, repoussées par des cœurs obstinés, refluaient en ondes d’amour inexprimable. Mais Israël s’était détourné de son meilleur Ami et de son unique Libérateur. Il avait dédaigné ses supplications, méprisé ses conseils et tourné en dérision ses avertissements.
L’heure de la grâce et du pardon s’envolait rapidement ; la coupe de la colère de Dieu, si longtemps différée, était presque pleine. Les sombres nuages que des siècles d’apostasie et de révolte avaient accumulés, alors gros de menaces, allaient éclater sur la nation coupable. Israël rejetait celui qui seul pouvait le sauver de la ruine imminente et se préparait à le crucifier. Quand le Sauveur sera suspendu au bois, les jours de ce peuple favorisé de Dieu seront révolus. La perte d’une âme est une calamité qui éclipse tous les gains et les trésors du monde. En contemplant Jérusalem, le Sauveur voit la perte d’une ville, d’une nation tout entière ; et quelle ville, quelle nation ! Celle qui a été l’élue de Dieu, son trésor particulier !
Les prophètes s’étaient lamentés sur l’apostasie d’Israël et sur les terribles calamités que ses péchés lui préparaient. Jérémie avait souhaité que ses yeux fussent changés en " une source de larmes pour pleurer nuit et jour les morts de la fille de son peuple " , ainsi que le " troupeau de l’Eternel " , emmené en captivité. (Jérémie 9 : 1 ; 13 : 1.) Aussi quel devait être le chagrin de celui dont le regard prophétique — embrassant non seulement les années, mais les siècles — contemplait l’épée de l’ange destructeur dégainée contre une ville qui avait été si longtemps la demeure de Jéhovah !
Du haut de la colline des Oliviers, du lieu même que devaient occuper plus tard les armées de Titus, Jésus, les yeux voilés de larmes, regarde, à travers la vallée, les portiques sacrés du temple. Une vision terrifiante s’offre à ses yeux : il voit une armée étrangére entourant la muraille de Jérusalem ; il perçoit le bruit sourd des légions en marche ; il entend monter, de la ville assiégée, les lamentations des femmes et des enfants demandant du pain ; il assiste à l’incendie de la sainte demeure, de ses palais et de ses tours, bientôt transformés en monceaux de ruines fumantes. Franchissant les siècles, son regard voit le peuple de l’alliance dispersé en tous pays comme des épaves sur un rivage désolé. Mais dans les châtiments prêts à fondre sur Jérusalem, il n’aperçoit que les premières gouttes de la coupe amère qu’elle devra, au jugement final, vider jusqu’à la lie. Aussi la compassion divine éclate-t-elle en cette esclamation douloureuse :
" Si toi aussi, au moins en ce jour qui t’est donné, tu connaissais les choses qui appartiennent à ta paix ! Mais maintenant elles sont cachées à tes yeus. Il viendra sur toi des jours où tes ennemis t’environneront de tranchées, t’enfermeront, et te serreront de toutes parts ; ils te détruiront, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre, parce que tu n’as pas connu le temps où tu as été visitée… Jérusalem, Jérusalem qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois ai-je voulu rassembler tes enfants, comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l’avez pas voulu ! " (Luc 19 : 41-44 ; Matthieu 23 : 37.) O nation favorisée entre toutes, que n’as-tu connu le temps où tu as été visitée ! J’ai retenu le bras de l’ange de la justice ; je t’ai appelée à la repentance, mais en vain. Ce ne sont pas seulement des serviteurs, des envoyés, des prophètes que tu as repoussés, rejetés, c’est le Saint d’Israël, ton Rédempteur. Si tu péris, toi seule en seras responsable. " Et vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie ! " (Jean 5 : 40.)
C’étaient aussi les malheurs de toute la famille d’Adam qui arrachaient au Sauveur ce cri amer. En Jérusalem, Jésus voyait le symbole d’un monde endurci, incrédule, rebelle, se précipitant au-devant des jugements de Dieu. Il lisait l’histoire du péché et de la souffrance humaine, écrite dans les larmes et le sang. Emu d’une compassion infinie pour les affligés et les malheureux, il aurait voulu les en préserver tous. Mais comment pouvait-il arrêter le flot des calamités déferlant sur le monde quand, alors qu’il était prêt à se livrer à la mort pour les sauver, si peu d’âmes cherchaient en lui leur unique secours ?
La Majesté du ciel en larmes ! le Fils du Dieu infini courbé par la douleur et secoué par d’amers sanglots ! Ce spectacle, qui provoqua dans le ciel un saisissement général, nous révèle la nature odieuse du péché : il nous montre combien est difiicile, même pour le Tout-Puissant, la tâche d’arracher le coupable à la pénalité de la loi divine. Promenant son regard à travers les siècles jusqu’à la dernière génération, Jésus voyait le monde plongé dans un égarement analogue à celui qui causa la ruine de Jérusalem. Le grand péché des Juifs a été la réjection du Christ ; le grand péché du monde chrétien consistera à repousser la loi de Dieu, base de son gouvernement dans le ciel et sur la terre, et à fouler aux pieds ses préceptes. Alors, des millions d’esclaves du péché et de Satan seront condamnés à la seconde mort, pour avoir, dans un aveuglement inconcevable, méconnu le jour de leur visitation !
Deux jours avant la Pâque, après avoir dénoncé l’hypocrisie des pharisiens, Jésus, sortant du temple pour la dernière fois, se retira de nouveau avec ses disciples sur le mont des Oliviers. Assis avec eux sur les pentes herbeuses dominant la cité, il contemplait une fois encore ses murailles, ses tours, ses palais. Une fois encore, il voyait l’éclatante splendeur du temple couronnant, tel un diadème, la colline sacrée.
Mille ans auparavant, le psalmiste avait célébré la faveur que Dieu avait accordée à Israël en élisant domicile dans sa sainte demeure : " Sa tente est à Salem, et sa demeure à Sion." " Il préféra la tribu de Juda, la montagne de Sion qu’il aimait. Et il bâtit son sanctuaire comme les lieux élevés. " (Psaumes 76 : 3 ; 78 : 68, 69.) Le premier temple avait été construit au cours de la période la plus prospère de l’histoire d’Israël. David avait réuni d’immenses trésors à son intention. Dieu en avait inspiré les plans (1chroniques 28 : 12, 19) ; Salomon, le plus sage des rois d’Israël, avait présidé à son érection. Ce temple était l’édifice le plus magnifique que le monde ait jamais vu. Et pourtant, parlant du second temple, par le prophète Aggée, Dieu avait fait cette déclaration : " La gloire de cette dernière maison sera plus grande que celle de la première. " Je ferai trembler toutes les nations et le désir de toutes les nations arrivera, et je remplirai cette maison de gloire, dit l’Eternel des armées. " (Aggée 2 : 9, 7 ; version de Lausanne.)
Détruit par Nebucadnetsar, le temple de Salomon avait été reconstruit quelque cinq cents ans avant Jésus-Christ, après une captivité qui avait duré une vie d’homme. Le peuple était rentré dans un pays dévasté et presque désert. Les vieillards qui avaient vu la gloire du temple de Salomon pleurèrent à la vue des fondations du second temple si inférieures à celles du premier. Le sentiment général était rendu par ces paroles du prophète : " Quel est parmi vous le survivant qui ait vu cette maison dans sa gloire première ? Et comment la voyez-vous maintenant ? Telle quelle est, ne paraît-elle pas comme rien à vos yeux ? " (Aggée 2 : 3 ; Esdras 3 : 12.) Puis il énonçait la promesse selon laquelle la gloire de ce temple serait plus grande encore que celle du premier.
En effet, le second temple n’avait pas égalé le premier en magnificence. Il n’avait pas été consacré, comme le premier, par les signes visibles de la présence divine. Son inauguration n’avait été marquée d’aucune manifestation surnaturelle. Aucune nuée de gloire n’avait envahi le nouveau sanctuaire. Le feu du ciel n’était pas descendu sur l’autel pour consumer le sacrifice. La shékinah n’avait plus résidé entre les chérubins du lieu très saint ; l’arche, le propitiatoire et les tables du témoignage avaient disparu, et aucune voix céleste ne répondait plus aux sacrificateurs qui consultaient Dieu.
Durant des siècles, les Juifs s’étaient vainement efforcés de démontrer comment la promesse de Dieu, faite par le prophète Aggée, s’était réalisée. L’orgueil et l’incrédulité les aveuglaient sur le sens véritable des paroles du voyant. Ce qui honora le second temple, ce ne fut pas la nuée glorieuse de Jéhovah, mais la présence personnelle de celui en qui habitait corporellement toute la plénitude de la divinité, c’était Dieu manifesté en chair. C’est quand le Nazaréen avait enseigné et guéri dans ses parvis sacrés, que le " désir de toutes les nations était entré dans son temple " . C’est par la présence de Jésus et par cette présence seule que la gloire du second temple surpassa celle du premier. Mais Israël avait dédaigné le don du ciel, et, quand l’humble docteur avait franchi le seuil de la porte d’or ce jour-là, la gloire avait abandonné le temple à tout jamais. Déjà ces paroles du Sauveur s’étaient accomplies : " Voici, votre maison vous sera laissée déserte. " (Matthieu 23 : 38.)
Effarés et consternés à l’ouïe des prédictions du Sauveur touchant la destruction du temple, les disciples voulurent comprendre plus parfaitement le sens de ses paroles. Pendant quarante ans, les travaux, l’argent, le génie des architectes, rien n’avait été épargné pour rendre cet édifice à sa splendeur première. Hérode le Grand y avait consacré les richesses des Romains et celles de la Judée ; l’empereur lui-même l’avait comblé de ses dons. Des blocs de marbre blanc de dimensions presque fabuleuses, envoyés de Rome, faisaient partie de ses murailles. C’est sur ces puissantes structures que les disciples — réunis autour du Maître — appelèrent son attention en ces termes : " Maître, regarde, quelles pierres, et quelles constructions ! " (Marc 13 : 1.) Jésus répondit par cette parole saisissante : " Je vous le dis en vérité, il ne restera pas ici pierre sur pierre qui ne soit renversée. " (Matthieu 24 : 2.)
Pour les disciples, la destruction de Jérusalem ne pouvait s’accomplir que lors de l’inauguration du règne universel, personnel et glorieux du Messie pour punir les Juifs impénitents et briser le joug des Romains. Et comme Jésus leur avait déclaré qu’il viendrait une seconde fois, leur pensée, à la mention de la ruine de Jérusalem, se reporta sur cette seconde venue. De là cette triple question qu’ils lui posèrent sur la colline des Oliviers : " Dis-nous, quand cela arrivera-t-il, et quel sera le signe de ton avènement et de la fin du monde ? " (Matthieu 24 : 3.)
Jésus leur donna une esquisse des événements les plus saillants qui devaient survenir, avant la fin des temps. Ces prédictions, qui ne furent pas alors pleinement comprises, étaient destinées à devenir de plus en plus intelligibles au peuple de Dieu à mesure que le besoin s’en ferait sentir. L’avenir était miséricordieusement voilé aux disciples. S’ils avaient alors nettement saisi la portée de ces deux événements sinistres : le supplice et la mort du Sauveur, ainsi que la destruction de Jérusalem et du temple, ils auraient été glacés d’horreur. Or, la prophétie du Maître avait un double sens : elle annonçait à la fois la destruction de Jérusalem et les terreurs du grand jour final.
Aux disciples attentifs, Jésus annonce les calamités qui vont fondre sur Israël apostat, en particulier parce qu’il rejette le Messie et qu’il se prépare à le crucifier. Des signes indiscutables devront annoncer cette catastrophe terrible et soudaine. Aussi le Sauveur donne-t-il â ses disciples cet avertissement : " C’est pourquoi, lorsque vous verrez l’abomination de la désolation, dont a parlé le prophète Daniel, établie en lieu saint — que celui qui lit fasse attention ! — alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes. " (Matthieu 24 : 15, 16 ; Luc 21 : 20, 21.) " Dès que les étendards des Romains se dresseront dans l’enceinte sacrée qui s’étend à quelque distance des murailles de la ville sainte, les chrétiens devront chercher leur salut dans la fuite. Aussitôt que les signes paraîtront, qu’on se trouve dans la Judée ou à Jérusalem, il faudra partir sans délai. Celui qui se trouvera au haut de la maison ne devra pas s’aviser d’y rentrer pour emporter ses objets de prix. Ceux qui travailleront dans les champs ou les vignes ne devront pas revenir sur leurs pas pour prendre le vêtement déposé durant la chaleur du jour. Ceux qui voudront échapper à la destruction générale n’auront pas un instant à perdre.
Sous le règne d’Hérode, Jérusalem avait été non seulement embellie, mais on y avait construit des murailles, des tours et des forteresses qui, jointes à sa situation exceptionnelle, l’avaient rendue apparemment imprenable. Celui qui, au temps du Christ, aurait publiquement annoncé sa ruine, aurait été pris, comme Noé, pour un alarmiste ou un détraqué. Or, Jésus avait dit : " Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point. " (Mattieu 24 : 35.)
La colère de Dieu s’était enflammée contre Jérusalem à cause de ses péchés. Son incrédulité obstinée rendait sa perte inévitable. Par le prophète Michée le Seigneur avait Déclaré : " Ecoutez donc ceci, chefs de la maison de Jacob, et princes de la maison d’Israël, vous qui avez en horreur la justice, et qui pervertissez tout ce qui est droit, vous qui bâtissez Sion avec le sang, et Jérusalem avec l’iniquité ! Ses chefs jugent pour des présents, ses sacrificateurs enseignent pour un salaire, et ses prophètes prédisent pour de l’argent ; et ils osent s’appuyer sur l’Eternel, ils disent :l’Eternel n’est-il pas au milieu de nous ? Le malheur ne nous atteindra pas. " (Michée 3 : 9-11.)
Ces paroles décrivaient bien la cupidité et la propre justice des habitants de Jérusalem qui professaient s’attacher strictement à l’observation des préceptes de la loi de Dieu et en transgressaient tous les principes. Ces derniers haïssaient celui dont la pureté et la sainteté dévoilaient leurs projets criminels. Tout en reconnaissant son innocence, ils avaient déclaré sa mort nécessaire à la sécurité de la nation. " Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront détruire et notre ville et notre nation." (Jean 11 : 48.) Ils pensaient, en supprimant le Sauveur, devenir un peuple fort et uni. Ils partageaient ainsi le sentiment du nouveau sacrificateur qui préférait qu’un seul homme mourût pour le peuple et que la nation entière ne pérît point.
Ainsi, les chefs de la nation juive " bâtissaient Sion avec le sang, et Jérusalem avec l’ iniquité " . Cependant, au moment où ils mettaient à mort le Sauveur parce qu’il leur révélait leurs péchés, ils se considéraient, dans leur propre justice, comme les favoris du ciel et comptaient que Dieu les délivrerait de leurs ennemis. " C’est pourquoi, à cause de vous, Sion sera labourée comme un champ, Jérusalem deviendra un monceau de pierres, et la montagne du temple une sommité couverte de bois. " (Michée 3 : 12.)
La miséricorde de Dieu fut merveilleuse envers ceux qui méprisèrent son Evangile et mirent à mort son Fils. Pendant quarante ans, le Seigneur différa l’exécution des jugements prononcés sur la ville et sur la nation. La parabole du figuier stérile représente sa manière d’agir envers le peuple juif. Cet ordre avait été donné : " Coupe-le : pourquoi occupe-t-il la terre inutilement ? " (Luc 13 : 7.) Mais la bienveillance divine l’épargnait encore. Nombreux étaient, parmi les Juifs, ceux qui ignoraient la nature de l’œuvre du Sauveur. Les enfants n’avaient pas eu l’occasion de recevoir les enseignements que leurs parents avaient méprisés. Par l’intermédiaire des apôtres, Dieu fit luire sa lumière sur eux. Ils auraient pu se rendre compte de l’accomplissement des prophéties non seulement dans la naissance et la vie du Christ mais aussi dans sa mort et sa résurrection. Ils ne furent pas condamnés pour les péchés de leurs parents, mais parce que, après avoir eu connaissance des lumières confiées à ceux-ci, ils rejetèrent celle qui leur avait été communiquée. Ils avaient ainsi participé aux péchés de leurs parents et comblé la mesure de leur iniquité.
La longue patience de Dieu envers Jérusalem semblait confirmer les Juifs dans leur impénitence. Par leur haine et leur cruauté envers les disciples de Jésus, ils rejetèrent le dernier appel de la miséricorde. Aussi Dieu leur retira-t-il sa protection et les abandonna-t-il à Satan et à ses anges. La nation fut livrée entre les mains du chef qu’elle s’était choisi. Les Juifs avaient dédaigné la grâce de celui qui leur eût assuré la victoire sur les mauvais penchants qui étaient devenus leurs maîtres. Livrés à la violence de leurs passions, ils ne raisonnaient plus. Esclaves des emportements d’une fureur aveugle, ces malheureux se livraient à des actes d’une cruauté satanique. Dans la famille comme dans l’Etat, dans les classes élevées comme dans le bas peuple, on ne rencontrait que suspicion, envie, haine, discorde et assassinats. Il n’y avait de sécurité nulle part. Amis et intimes se trahissaient mutuellement. Les parents tuaient leurs enfants, et les enfants tuaient leurs parents. Les chefs n’avaient aucun empire sur eux-mêmes. Leurs passions indomptées en faisaient des tyrans. Les Juifs avaient accepté de faux témoignages contre le Fils de Dieu, et maintenant leur vie était constamment menacée par des délateurs. Depuis longtemps, ils avaient dit par leurs actes : " Eloignez de notre présence le Saint d’Israël. " (Esaïe 30 : 11.) Leur vœu était accompli. La crainte de Dieu ne les retenait plus. Satan, maître des autorités civiles et religieuses, était à la tête de la nation.
Parfois, les chefs des factions ennemies s’entendaient pour piller et torturer leurs malheureuses victimes, puis ils en venaient aux mains et s’entr’égorgeaient sans miséricorde. La sainteté même du temple ne mettait aucun frein à leur férocité. Les adorateurs étaient mis à mort devant l’autel, et le sanctuaire était souillé de cadavres. Néanmoins, dans leur présomption aveugle et blasphématoire, les instigateurs de cette œuvre infernale déclaraient hautement qu’ils étaient sans inquiétude sur le sort de Jérusalem, puisqu’elle était la ville de Dieu. Pour affermir leur autorité, ils subornèrent de faux prophètes qui, au moment même où les légions romaines assiégeaient le temple, proclamèrent que la délivrance divine était imminente. Jusqu’à la fin, la foule demeura convaincue que Dieu interviendrait, pour confondre les Romains. Mais Israël avait méprisé la protection du ciel et se trouvait maintenant sans défense. Malheureuse Jérusalem ! Déchirée par les factions, elle voyait ses rues arrosées du sang de ses enfants massacrés par ses propres mains, tandis que des armées ennemies abattaient ses fortifications et décimaient ses hommes de guerre !
Toutes les prédictions de Jésus relatives à la ruine de Jérusalem s’accomplissaient à la lettre. Les Juifs voyaient se réaliser cet avertissement : " On vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez. " (Matthieu 7 : 2.)
Des signes et des miracles, présages du désastre, apparurent.. Au milieu de la nuit, une lumière surnaturelle brilla sur le temple et sur l’autel. Au coucher du soleil, on vit dans les nuages des chariots et des hommes de guerre prêts pour la bataille. Des sacrificateurs qui officiaient de nuit dans le sanctuaire furent terrifiés par des bruits mystérieux. Le sol trembla, et on entendit de nombreuses voix qui disaient : " Partons d’ici. " A minuit, la porte orientale, si lourde que vingt hommes pouvaient à peine la faire tourner sur ses gonds, et fermée par de puissantes barres solidement fixées dans des pierres massives, s’ouvrit d’elle-même. (Milman, History of the Jews, liv. XIII.)
Sept années durant, on entendit un homme annoncer dans les rues de Jérusalem les malheurs qui allaient fondre sur la ville. Jour et nuit, on l’entendait répéter : " Voix du côté de l’Orient ; voix du côté de l’Occident ; voix du côté des quatre vents ; voix contre Jérusalem et contre le temple ; vois contre les époux et les épouses ; voix contre le peuple ! " Cet être étrange fut emprisonné et battu de verges ; mais jamais une plainte ne s’échappa de ses lèvres. Sa seule réponse aux injures et aux mauvais traitements était : " Malheur, malheur à Jérusalem ! Malheur, malheur à ses habitants ! " Il ne cessa de faire entendre ses avertissements que lorsqu’il fut tué au cours du siège qu’il avait annoncé.
Aucun chrétien ne périt dans la ruine de Jérusalem. Les disciples qui avaient été avertis furent attentifs au signe promis : " Lorsque vous verrez Jérusalem investie par des armées " , avait dit Jésus, " sachez alors que sa désolation est proche. Alors, que ceux qui seront en Judée fuient dans les montagnes, que ceux qui seront au milieu de Jérusalem en sortent, et que ceux qui seront dans les champs n’entrent pas dans la ville. " (Luc 21 : 20, 21.)
Une armée romaine, placée sous la conduite de Cestius Gallus, avait investi Jérusalem. A peine arrivée, alors que tout semblait favoriser une attaque immédiate, elle levait le siège. Les assiégés, désespérant du succès, parlaient déjà de se rendre, quand le général romain battit en retraite sans la moindre raison apparente. Dieu, dans sa miséricorde, dirigeait les événements pour le bien de son peuple. Le signe promis avait paru, et l’occasion était donnée aux chrétiens sur le qui-vive et à tous ceux qui le voulaient d’obéir à l’ordre du Seigneur. Les choses tournèrent de telle façon que ni les Juifs, ni les Romains ne s’opposèrent à leur fuite. Voyant que l’armée se retirait, les Juifs, sortant hors des murs de Jérusalem, se précipitèrent à sa poursuite, ce qui donna aux chrétiens l’occasion de quitter la ville. La campagne, également, était en ce moment-là débarrassée des ennemis qui auraient pu leur barrer la route, tandis que les Juifs se trouvaient enfermés dans la ville à l’occasion de la fête des Tabernacles. Les chrétiens purent donc s’enfuir sans être molestés. Ils se réfugièrent en Pérée, au-delà du Jourdain, dans la ville de Pella.
Les forces juives qui s’étaient jetées à la poursuite de Cestius attaquèrent son arrière-garde avec tant d’impétuosité qu’elle fut menacée d’une complète destruction ; elles rentrèrent triomphalement à Jérusalem, chargées de butin et n’ayant essuyé que des pertes légères. Mais cet apparent succès les servit mal. Il leur inspira un esprit de résistance obstiné qui, lorsque Titus en reprit le siège, attira sur la ville des maux indescriptibles.
Jérusalem avait été investie durant la Pâque, alors qu’une multitude de Juifs se trouvaient dans ses murs. Distribuées avec sagesse, les provisions auraient pu suffire des années durant. Elles furent détruites par les factions rivales des défenseurs, et bientôt les habitants se trouvèrent réduits à une horrible famine. Plusieurs rongeaient le cuir de leur ceinture, de leurs sandales et de leur bouclier. Une mesure de blé se vendait un talent. Nombre de gens se glissaient, la nuit, hors des murailles pour aller chercher quelques plantes sauvages à manger. Les uns étaient capturés et livrés à la torture, tandis que ceux qui réussissaient à rentrer dans la ville étaiént souvent dépouillés des provisions qu’ils avaient si chèrement obtenues. Les chefs infligeaient les traitements les plus inhumains aux personnes qu’ils soupçonnaient de détenir quelque aliment. Souvent, bien nourris eux-mêmes, ils visaient à se faire des réserves pour l’avenir. Des milliers périssaient par la famine et par la peste.
Les affections naturelles semblaient éteintes. Des maris volaient leurs femmes, et des femmes leurs maris. Des enfants arrachaient la nourriture de la bouche de leurs vieux parents. La question du prophète : " Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle allaite ? " (Esaïe 49 : 15) reçut cette réponse dans l’enceinte de cette ville perdue : " Les femmes, malgré leur tendresse, font cuire leurs enfants ; ils leur servent de nourriture, au milieu du désastre de la fille de mon peuple. " (Lamentations de Jérémie 4 : 10.) Alors s’accomplit également la prédiction faite quatorze siècles auparavant : " La femme d’entre vous la plus délicate et la plus habituée à la mollesse, qui par mollesse et par délicatesse n’essayait pas de poser à terre la plante de son pied, aura un œil sans pitié pour le mari qui repose sur son sein, pour son fils et pour sa fille ; elle ne leur donnera rien…des enfants qu’elle mettra au monde, car, manquant de tout, elle en fera secrètement sa nourriture au milieu de l’angoisse et de la détresse où te réduira ton ennemi dans tes portes. " (Deutéronome 28 : 56, 57.)
Pour forcer les Juifs à se rendre, les Romains tentèrent de les terroriser. Les prisonniers qui résistaient au moment de leur capture étaient battus de verges, torturés et crulifiés sous les murs de la ville. Il en périssait ainsi journellement des centaines, au point que, dans la vallée de Josaphat et sur le Calvaire, les croix furent bientôt si nombreuses qu’on pouvait à peine passer entre elles. Ainsi se réalisait la terrible imprécation prononcée par les Juifs devant le tribunal de Pilate : " Que son sang retombe sur nous et sur nos enfants ! " (Matthieu 27 : 25.)
Titus, rempli d’horreur à la vue des monceaux de cadavres qui encombraient les vallées, eût été heureux de mettre un terme à ces scènes abominables et d’épargner à Jérusalem une partie de ses maux.. Saisi d’admiration à la vue du temple qu’il contemplait du haut de la colline des Oliviers, il défendit à ses soldats de porter la main sur cette merveille. Avant de tenter l’assaut de la forteresse, il supplia les chefs des Juifs de ne pas le contraindre à souiller de sang le sanctuaire et promit que s’ils consentaient à aller combattre ailleurs, aucun soldat romain ne profanerait le temple.
Dans un appel éloquent, Josèphe, leur compatriote, les supplia de se rendre et d’assurer ainsi leur salut et celui du lieu sacré. A ce dernier médiateur humain, les Juifs répondirent par des imprécations et des quolibets. Ils avaient fermé l’oreille à la voix du Fils de Dieu ; maintenant, toutes les supplications ne faisaient que les rendre plus obstinés à résister jusqu’au bout. Titus ne réussit pas à sauver le temple. Un plus grand que lui avait déclaré qu’il n’en resterait pas pierre sur pierre.
L’aveugle obstination des chefs juifs et les crimes affreux perpétrés dans la ville assiégée excitèrent à tel point l’horreur et l’indignation des soldats romains que Titus finit par se décider à prendre le temple d’assaut, résolu toutefois à le conserver s’il était possible. Mais ses ordres furent négligés. Un soir, à peine s’était-il retiré dans sa tente que les Juifs, sortant du temple, attaquèrent les assaillants. Dans la chaleur du combat, un soldat jeta un brandon allumé à travers le portique. Bientôt, les salles boisées de cèdre qui entouraient le temple furent la proie des flammes. Accourant en hâte sur les lieux avec ses légionnaires,Titus donna l’ordre de combattre l’incendie. Il ne fut pas obéi. Dans leur rage, les soldats passèrent au fil de l’épée un grand nombre de ceux qui s’étaient réfugiés dans le lieu sacré. Le sang coulait comme de l’eau sur les marches du temple. Des milliers de Juifs périrent. Le bruit de la bataille était dominé par des voix qui disaient : " I-Kabod ! " c’est-à-dire : la gloire s’en est allée.
" Titus, n’avait pas réussi à apaiser la fureur de la soldatesque. Pénétrant avec ses officiers dans l’intérieur de l’édifice sacré, il fut émerveillé de sa splendeur ; et comme les flammes n’avaient pas encore atteint le lieu saint, tentant un dernier effort pour le sauver, il conjura ses soldats de combattre les progrès de l’incendie. Armé de son bâton de commandement, le centenier Liberalis s’efforça d’imposer l’obéissance. Mais la présence même du général en chef ne parvint pas à arrêter la rage des Romains contre les Juifs ; rien ne put faire entendre raison à des hommes aveuglés par le carnage et alléchés par l’appât du pillage. Voyant, l’or étinceler de toutes parts, à la lumière sinistre des flammes, les soldats s’imaginèrent que des trésors incalculables se trouvaient cachés dans le sanctuaire. Aveuglés par la fumée et les flammes, les officiers durent battre en retraite et abandonner le noble édifice à son sort.
" Spectacle terrifiant pour les Romains, mais combien plus pour les Juifs ! Toute la crête de la colline qui dominait la ville flamboyait comme un volcan. Avec le fracas du tonnerre, les bâtiments, l’un après l’autre, s’effondraient dans un brasier dévorant. Les toits de cèdre ressemblaient à des nappes de flammes. Les pinacles dorés jetaient des reflets embrasés. Des tours s’élevaient des colonnes de fumée et de flammes dont la lueur éclairait les collines avoisinantes. Dans l’obscurité, des groupes d’assiégés, en proie à une angoisse mortelle, suivaient les progrès de l’incendie. Sur les murailles et les éminences de la haute ville, les assiégés, certains atterrés, d’autres exaspérés, se livraient au désespoir ou proféraient de vaines menaces. Les cris des soldats romains et les hurlements des insurgés périssant dans les flammes se mêlaient au crépitement de l’incendie, et les échos de la montagne répercutaient les lamentations du peuple massé sur les hauteurs. Des gens à demi morts d’inanition rassemblaient ce qu’il leur restait de forces pour faire entendre une dernière clameur d’angoisse et de désolation.
" A l’intérieur se déroulait un spectacle plus terrifiant encore. Hommes et femmes, jeunes et vieux, insurgés et sacrificateurs, combattants et suppliants étaient massacrés sans miséricorde. Et comme le nombre des tués dépassait celui des égorgeurs, les légionnaires, poursuivant leur œuvre d’extermination, devaient escalader des monceaux de cadavres. " (Milman, History of the Jews, Liv. XVI.)
Le temple détruit, la ville ne tarda pas à tomber tout entière entre les mains des Romains. Les chefs juifs ayant délaissé leurs tours imprenables, Titus trouva celles-ci abandonnées. Après les avoir contemplées avec étonnement, il déclara que Dieu seul avait pu les lui livrer ; ses machines de guerre auraient été impuissantes contre elles. La ville et le temple furent rasés ; l’emplacement du saint lieu fut " labouré comme un champ. " (Jérémie 26 : 18.) Au cours du siège et du massacre, plus d’un million de Juifs avaient perdu la vie. Les survivants furent réduits en captivité, vendus comme esclaves, emmenés à Rome pour orner le triomphe du vainqueur, jetés aux bêtes féroces dans les arènes, ou dispersés dans toutes les parties de la terre.
En mettant le comble à leur endurcissement, les Juifs avaient forgé leurs propres chaînes. La destruction de leur nation et tous les maux qui suivirent leur dispersion ne furent que le fruit de leurs œuvres. Le prophète l’avait dit : " Ce qui cause ta ruine, Israël, c’est que tu as été contre moi " , " car tu es tombé par ton iniquité. " (Osée 13 : 9 ; 14 : 1.) Maints auteurs citent les souffrances du peuple juif comme l’accomplissement d’un décret divin. Par cette erreur, le grand séducteur s’efforce de masquer son œuvre. C’est à cause de leur mépris obstiné de la miséricorde et de l’amour divins que les Juifs s’étaient aliéné la protection du ciel et que Satan avait pu les dominer. Les cruautés inouïes dont ils se rendirent coupables durant le siège de Jérusalem démontrent la façon dont Satan traite ceux qui se soumettent à lui.
Nous comprenons peu combien nous sommes redevables au Seigneur de la paix et de la protection dont nous jouissons. C’est la puissance de Dieu qui préserve l’humanité de tomber entièrement entre les mains de Satan. Les désobéissants et les ingrats feraient bien de le remercier de la patience et de la miséricorde avec lesquelles il tient en échec la cruauté du Malin. C’est lorsqu’on dépasse les bornes de sa longanimité, qu’il retire sa protection. Ce n’est pas Dieu qui exécute la sentence qui suit la transgression. Il se borne à abandonner à eux-mêmes les contempteurs de sa grâce, qui récoltent alors la moisson de leurs semailles.Tout rayon de lumière rejeté, tout avertissement méprisé, toute mauvaise passion caressée, en un mot, toute transgression de la loi de Dieu est une semence qui porte sûrement ses fruits. L’Esprit de Dieu finit par abandonner le pécheur impénitent et le laisse désarmé devant ses propres passions, comme devant l’inimitié et la malignité de Satan. La destruction de Jérusalem est un avertissement solennel à l’adresse de tous ceux qui restent sourds aux offres de la grâce divine et qui résistent aux tendres appels de sa miséricorde. Jamais on ne vit témoignage plus décisif de la haine de Dieu pour le péché, et de la certitude du châtiment qui fondra un jour sur les coupables.
La prophétie du Seigneur touchant Jérusalem doit avoir un autre accomplissement dont ce néfaste événement n’est qu’une pâle image. Dans le triste sort de la cité élue, il faut lire ce qui arrivera à un monde qui a rejeté la miséricorde de Dieu et foulé aux pieds sa loi. Sombre est le tableau des souffrances dont notre terre a été le témoin au cours de ses longs siècles de crime. A contempler les conséquences de la réjection de l’autorité du ciel, le cœur se serre et l’esprit se trouble. Mais une scène plus lugubre encore est cachée dans l’avenir. La longue procession de tumultes, de conflits, de révolutions dont les annales du passé sont faites est peu de chose en regard des terreurs du jour de Dieu, jour où l’Esprit, renonçant à son rôle protecteur, abandonnera entièrement les pécheurs à l’explosion des passions et de la fureur humaine et diabolique. Alors, comme jamais auparavant, le monde contemplera les résultats du règne de Satan.
En ce jour-là, comme lors de la destruction de Jérusalem, le peuple de Dieu, " tous ceux qui se trouveront inscrits dans le livre " seront délivrés. Jésus l’a promis : Il reviendra pour prendre les siens avec lui. " Toutes les tribus de la terre se lamenteront, et elles verront le Fils de l’homme venant sur les nuées du ciel avec puissance et une grande gloire. Il enverra ses anges avec la trompette retentissante, et ils rassembleront ses élus des quatre vents, depuis une extrémité des cieux jusqu’à l’autre. " (Mattieu 24 : 30, 31.) Alors, " ceux qui ne connaissent pas Dieu et ceux qui n’obéissent pas à l’Evangile " seront " détruits par le souffle de sa bouche et anéantis par l’éclat de son avènement " . (2 Thessaloniciens 1 : 8 ; 2 : 8.) Comme l’ancien Israël, les méchants se détruisent eux-mêmes : ils sont victimes de leur iniquité. Une vie de péché les aura tellement éloignés de Dieu et dégradés que la manifestation de sa gloire sera pour eux " un feu consumant " .
Prenons garde de ne pas négliger l’enseignement contenu dans les paroles du Sauveur. De même que Jésus avertit ses disciples de la destruction de Jérusalem, et que, pour leur permettre d’y échapper, il leur en annonça les présages certains, il a aussi averti le monde de sa destruction. Il nous a donné des signes de l’approche de ce grand jour, afin que, tous ceux qui le veulent puissent échapper à la colère à venir. " Il y aura, dit Jésus, des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles. Et sur la terre, il y aura de l’angoisse chez les nations qui ne sauront que faire, au bruit de la mer et des flots. " (Luc 21 : 25 ; Matthieu 24 : 29 ; Marc 13 : 24-26 ; Apocalypse 6 : 12-17.) Il a voulu que les témoins des signes avant-coureurs de sa venue, sachent qu’elle " est proche, à la porte " . (Matthieu 24 : 33.) " Veillez donc " (Marc 13 : 35) : telle est son exhortation. Ceux qui prennent garde à cet avertissement ne seront pas laissés dans les ténèbres pour que ce jour-là les prenne au dépourvu. Mais pour ceux qui ne veillent pas, " le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit " . (1 Thessaloniciens 5 : 2.)
Le monde aujourd’hui n’est pas mieux préparé à recevoir le message pour notre temps que les Juifs ne le furent à accueillir l’avertissement du Sauveur concernant Jérusalem. A quelque moment qu’il survienne, le jour du Seigneur prendra les méchants au dépourvu. La vie suivra son cours ordinaire ; les hommes seront absorbés par leurs affaires, par leur commerce et par l’amour de l’argent ; les conducteurs de la pensée religieuse exalteront les progrès et les lumières du siècle, et les masses seront bercées dans une fausse sécurité. Alors, tel un voleur, qui pénètre à minuit dans une demeure mal gardee, " une ruine soudaine " surprendra les inconscients et les impies, " et ils n’échapperont point. " (1 Thessaloniciens 5 : 2, 3.)
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La Tragedie Des Siecles
(La Grande Polemique Ente Le Christ et Satan)
pour Ellen G. White
Chapitre No. 1
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